Monstres & Cie
J'ai jamais pu encadrer les monstres. Vraiment pas mon truc. Ça sert vraiment à rien un monstre quand on y pense, juste à vous foutre un chambard pas possible et à déféquer dans tous les coins de...
Par
le 20 juin 2014
88 j'aime
29
Lien de la critique complète avec images :
https://miellez.wordpress.com/2022/11/06/godzilla-quand-fantastique-devient-realite/
INTRODUCTION
6 août 1944. Pour précipiter la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis larguent une bombe d'un nouveau genre sur la ville japonaise d'Hiroshima. Face au silence du Japon, une seconde bombe est lancée sur Nagasaki. Le pays capitule et la fin de la guerre est annoncée. Le Japon en ressort vaincu, meurtri, et plein de peur envers l'énergie nucléaire.
En 1945, les États-Unis envahissent le Japon et l'occupent pour les sept prochaines années. Réformes, propagande, rapatriement de l'armée, rationnement, censure à propos des bombardements atomiques, tout ceci se succédera jusqu'en 1952, date à laquelle le traité de sécurité est signé et le Japon sera libéré.
Pendant la fin des années 40, les Etats-Unis et la Russie se lancent dans une guerre froide. Les deux puissances vont ainsi se précipiter dans des essaies nucléaires, avec des bombes jusqu'à mille fois plus puissantes que celles lancées sur le Japon. La peur du nucléaire se réveille sur l'archipel du soleil levant.
C'est face à ce nouveau cauchemar si près de se réaliser que les idées cinématographiques fusent au Japon. Fin mars 1954, Tomoyuti Tanaka, producteur de la Toho, doit trouver très vite une idée de film pour la fin de l'année. Il feuillette un magazine dans l'avion qui doit le ramener chez lui, et tombe sur un article qui parle de la sortie d'un film américain au Japon, Le Monstre des Temps Perdus.
En 1951, Ray Bradbury écrit une nouvelle intitulée The Fog Horn (littéralement « La corne de brume »). Le français Eugène Lourié adaptera cette histoire dans son film appelé The Beast from 20,000 Fathorms (« La Bête venue de 20 000 mètres ») en 1953. Dans ce film, un test nucléaire est réalisé en Arctique, et réveille un ancien dinosaure, le Rhedosaurus. Ce dernier va attaquer la côte est des États-Unis avant de relâcher un germe préhistorique, provoquant une épidémie. Il est finalement tué grâce à une arme nucléaire.
Tanaka y voit là une excellente idée de scénario. D'autant plus que, le 1er mars 1954, la bombe test Castle Bravo, lancée par les Etats-Unis, ravive la peur du nucléaire au Japon. Des retombées radioactives non prévues ont contaminé plusieurs pêcheurs japonais, qui furent les premières personnes irradiées depuis Nagasaki.
Tanaka se dirige vers les studios de la Toho avec comme idée de film qui serait un remake japonais du Monstre des temps perdus, dans lequel un monstre muté à cause d'essais nucléaires sortira de la mer et attaquera le Japon. Il intitule ainsi son idée de film The Monster from 20,000 Miles Beneath the Sea (« Le Monstre qui vient de 20 000 mètres sous la mer »). Même s'il n'a pas de scénario, il sait déjà qu'il veut que le film parle de la peur du nucléaire, ainsi que celle de la mer, puisque le Japon a toujours vécu avec celle-ci malgré ses dangers.
Le projet est approuvé par la Toho, et Eiji Tsuburaya, un prodige des effets spéciaux, est approché pour réaliser ceux du film. Séduit par le projet, celui qui rêve depuis tout petit de faire un film de monstre accepte. Enfin, une étoile montante de la réalisation, Ishirō Honda, devient celui qui mettra en scène pour la première fois le Roi des Monstres.
Quelque chose qui m'a énormément plu dans ce film, ce sont les questionnements du Pr Serizawa. Ce dernier a inventé une arme extrêmement dangereuse, le Destructeur d'Oxygène. Il se demande alors, « est-ce qu'un homme, un savant, a le droit de doter l'humanité d'une arme si puissante qu'elle pourrait détruire toute vie sur Terre ? ». Il métaphorise les scientifiques tels Einstein et Fermi qui ont découvert le nucléaire. Il ne veut tout d'abord pas que son arme soit utilisée contre Gojira, de peur des conséquences qu'elle pourrait avoir entre de mauvaises mains. Face aux victimes du monstres, il accepte de s'en servir, mais se sacrifie avec celle-ci, pour que personne, jamais, ne puisse l'utiliser contre l'humanité.
Avec Serizawa, on pose le Japon comme un sage face à la folie humaine, et il devient l'exemple que l'Histoire aurait du suivre.
Si je parle principalement de ce personnage, c'est pour démontrer que Godzilla n'est pas qu'une saga où des monstres en caoutchouc se combattent. Si les messages du film sont parfois très subtils, il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre qu'avant d'être un divertissement, le film et la saga sont une réflexion sur l'Homme.
L'industrie du cinéma étant ce qu'elle est, une suite est déjà demandée par les producteurs.
C'est ainsi que, année après année, film après film, 29 métrages mettant en scène le Roi des Monstres verront le jour au Japon. Peu importe la qualité des films ou de leurs messages, Gojira est devenu une star sur le sol nippon.
Si tous les films se démarquent les uns et les autres par leurs qualités, leur histoire, leurs effets spéciaux, leur musique ou leur réalisation, il y a une chose qui relie tous les métrages de la franchise. De par son épatante longévité, elle offre un outil d'étude remarquable sur le Japon d'après-guerre. Critiquant ainsi les affres de l'humanité, tout y passe : le nucléaire, le capitalisme, la télévision, le commerce, l'industrialisation, la manipulation de la presse, l'antimilitarisme, la pollution, la solitude dans l'enfance, la biotechnologie, les dérives de l'utilisation de l'ADN, la xénophobie, les fantômes du passé, la politique... Chaque fois qu'une angoisse apparaît dans le pays, Gojira arrive dans un film.
C'est en ça que l'idée d'un Gojira américain devient moins risible, puisqu'en effet, si le monstre était tout d'abord la peur de la bombe nucléaire, lancée par les américains, il est très vite devenu un ami de l'humanité quand le nucléaire est devenu source d'énergie dans les années 60. De symbole de peur, il est parfois montré comme ami ou neutre, la série changeant souvent de message.
Mais avant de parler en détail du remake de 2014, penchons nous plus précisément sur comment ce film s'est construit.
Lorsque sort l'ère Heisei au Japon, les américains commencent à voir dans le Roi des Monstres un symbole de profit qui pourrait leur convenir. Des négociations sont lancées avec la Toho, qui approuve l'idée d'un remake américain. C'est le studio de la Tristar qui est choisi pour mettre en scène le lézard mutant sur le sol Américain.
Plusieurs noms de réalisateurs sont proposés et c'est Roland Emmerich qui va être choisi. Un choix judicieux ? Pas tant que ça. Dans les interviews, celui-ci ne cache pas son dédain pour Godzilla : « Je n'ai jamais aimé Godzilla. Ce ne sont que des productions modestes du dimanche matin. Le genre de trucs que vous voyez avec des amis pour vous en moquer », ou encore « Pour moi, Godzilla, c'était deux monstres en caoutchouc qui se tapaient dessus, et ça me posait un problème. Ce n'était pas du tout ce que j'avais envie de faire ». Méprisant ? Tout à fait.
S'il est vrai que dans les années 70, la période d'après-guerre est révolue, que le message anti-nucléaire original a laissé place à un univers de science-fiction pour la saga, que chaque nouveau scénario n'est qu'un prétexte pour que Godzilla tape sur un tout nouveau monstre, il n'en reste pas moins que chaque réalisateur a essayé de passer outre les demandes des producteurs, qui voulaient du Roi des Monstres un ami des enfants, en glissant ici et là des messages à qui voudrait bien les décoder.
C'est ainsi que même si Godzilla combat un papillon de nuit géant et un homard géant dans Godzilla VS Ebirah, le message du film, à savoir que la mauvaise utilisation du nucléaire, celle d'armes, est maintenant outrepassée par la bonne utilisation du nucléaire, celle de l'énergie, est bien là. Si Godzilla a maintenant un fils qui peut parler dans All Monsters Attack (film considéré par certains comme le pire de la saga), Ishirō Honda a réussi à glisser un message sur l'enfance difficile des japonais, dont celle du héros. Ce dernier préfère fuir la réalité et vivre dans ses rêves, faits de mondes factices dans lesquels des Kaijus se combattent. Les stock-shots (extraits d'anciens films réutilisés pour économiser de l'argent) sont ici justifiés par le fait que le héros revit ce qu'il voit à la télé, et la rigidité des costumes rappellent celle des jouets que l'on a lorsqu'on est enfant.
Tout ça pour dire que Roland Emmerich s'est montré d'un rare mépris envers ces films qu'il juge mauvais. Loin de se pencher sur les messages réels de la saga, il ne voit que des films dont les budgets sont bien moins inférieurs à ceux des films Américains. Il ne veut pas rendre hommage à une saga qui a plus de quarante ans, ce que lui veut, c'est réinventer le mythe même de Godzilla, en se basant comme l'a fait le premier film de la saga, sur le Monstre des Temps Perdus.
Même ça, il le fera non sans ajouter sa touche américaine. On se retrouve donc avec un film américain, basé sur un film japonais, lui-même basé sur un film américain dirigé par un français d'origine russe qui a adapté l'écrit d'un américain. Là où le bat blesse le plus, c'est que la condescendance d'Emmerich fait qu'il ne veut même pas prendre en compte la vision d'Ishirō Honda pour son film.
Sa créature est un iguane muté par des essais nucléaires français, qui mange du poisson et a peur de l'armée américaine. Si son envie de créer un animal réaliste est louable, Emmerich fait de ce qui est devenu un symbole noble et fort quelque chose de diminué. L'iguane de l'américain a le corps d'un dinosaure, est horizontal et perd donc totalement de son côté mystique. Il n'est pas là pour incarner le nucléaire, il est là pour manger et se procréer.
Ce Godzilla là n'est pas ici pour réveiller les traumatismes d'un pays, parce que les essais nucléaires français, qu'on les approuve ou non, n'ont rien fait de mal aux Etats-Unis, ils n'ont tué personne. Ils ont seulement fait peur à l'Amérique, cette Amérique qui avait tellement confiance en son armée militaire. Et ça, c'est le point qu'on retrouve dans les films américains de l'époque : l'armée est là pour nous sauver, un États-unien peut se sauver s'il a un bon gros fusil dans les mains.
Ce Godzilla là est donc ici pour bien démontrer que l'armée est supérieure à tout. Godzilla succombe aux armes des Etats-Unis. Ce qui démontre bien ça dans le film, ce sont ces plans de New York et des Tours Jumelles. Les Etats-Unis n'ont pas encore connu cette horreur du 11 septembre 2001, ce jour où la confiance en la toute-puissance de son artillerie va vaciller.
Rolland Emmerich n'aime pas Godzilla, il n'a pas grandi dans un Japon d'après-guerre et n'a pas envie d'en comprendre le sens : il a grandit dans la science-fiction américaine et veut le montrer.
En dehors de ça, et de manière plus personnelle, je trouve le film passable, pas meilleur et pas pire que certains des films nippons de la saga. GINO (le petit nom donné à la créature du film par les fans, « Godzilla In Name Only ») n'est qu'une redite du T. rex de Jurassic Park, et ses bébés des raptors, on se demande bien pourquoi Emmerich déteste autant les français et les effets spéciaux font mal à la tête et n'ont rien de poétique (les costumes en caoutchouc du Japon ont beaucoup plus de saveur), mais c'est plutôt drôle à voir, notamment grâce à Jean Reno et Matthew Broderick. De manière générale, le film fait partie du genre de trucs que vous voyez avec des amis pour vous en moquer. C'est ce qu'on appelle, j'imagine, l'ironie du sort.
2) De Final Wars à Godzilla 2014
La très mauvaise réception du film d'Emmerich tue dans l’œuf (c'est le cas de le dire) les deux suites initialement prévues (qui seront reprises pour la série animée). La Toho décide de redémarrer la franchise de la poule aux œufs d'or avec l'ère Millenium et produit six films qui s'achèveront pour le cinquantième anniversaire du Roi des Monstres avec un Final Wars explosif, avant de laisser Godzilla se reposer...
… ou non. La même année, en 2004, Yoshimitsu Banno apprend aux fans qu'il a obtenu de la Toho le droit de réaliser un film d'une heure sur Godzilla.
Cet homme, c'est le réalisateur de Godzilla VS Hedorah, le film qui présente notre Roi des Monstres combattant un monstre survenu à cause de la pollution. Le métrage qu'il avait réalisé en 1971, était froid, sombre et horrifique dans des aspects moins poétiques que ceux du film d'Honda, à une époque où Godzilla était la cible des jeunes enfants.
Au départ, Banno avait prévu de réaliser un diptyque, mais le producteur Tanaka ayant été traumatisé par le rendu du film, a préféré le virer et ne jamais le rappeler pour réaliser d'autres films de la saga. Si le film qu'il compte réaliser pour les salles JAPAX (l'équivalent japonais de l'IMAX) n'est pas sa suite tant désirée, elle reprend certains codes de Godzilla VS Hedorah : loin de la vision de l'ennemi que proposent aujourd'hui les films de Godzilla, ce dernier aurait eu un rôle salvateur dans ce film, sauvant ainsi le monde à son insu contre un monstre venu de l'espace.
Reporté, modifié, tronqué, recoupé, l'idée de Banno ne plaît semble-t-il qu'aux fans et il a beau toquer à toutes les portes qui s'ouvrent à lui, personne ne l'accepte.
En 2009, il arrive au pied d'un studio américain, celui de Legendary Pictures. Celui-ci exprime un intérêt inattendu pour l'idée, exprimant le souhait de vouloir recommencer la franchise en Amérique, en s'inspirant cette fois du film de 1954.
S'il n'est plus réalisateur ou scénariste de son film, Banno devient le négociateur entre la Legendary américaine et la Toho japonaise. Cette dernière accepte avec plaisir l'idée de Legendary, et le deuxième Godzilla américain commence sa production.
3) Gareth Edwards
Tout le monde le dit et le redit, le film sera largement plus respectueux envers l’œuvre d'Honda.
Si Guillermo Del Toro est un temps pressenti pour réaliser le film, c'est un autre nom quasiment méconnu qui va arriver en janvier 2011, celui de Gareth Edwards.
Le choix surprend. Le réalisateur n'a fait qu'un seul petit film, tout juste sorti, appelé Monsters. Loin des standards d'Hollywood (et d'Emmerich), le métrage est un film indépendant dont le budget est risible : moins de 500,000$, soit le prix de la cantine pendant une journée de tournage d'un film à gros budget. Edwards est donc à la fois le réalisateur, le scénariste, le producteur, le chef décorateur, le directeur des acteurs ainsi que le chef et unique artiste des effets spéciaux.
Le film est un petit bijou dans son genre. Il raconte l'histoire de deux personnages qui sont au Mexique et doivent rejoindre les Etats-Unis. Entre les deux pays, une barrière a été construite afin de garder emprisonnées des formes de vie extra-terrestre ayant émergé suite au crash d'une capsule de la NASA. On suit les personnages pendant leur voyage le long d'un fleuve, où une première créature est aperçue dans une scène de tension. Puis une seconde créature attaque leur convoi dans la forêt. Parvenant enfin au mur, ils le traversent avant de se rendre compte que les aliens sont sortis de l'enceinte et ont envahi les Etats-Unis, attaquant une petite ville de la frontière. Les deux personnages attendent l'arrivée de secours dans une station service quand deux des créatures font leur apparition. Elles se nourrissent de lumière, s'accouplent, puis repartent. Les humains peuvent repartir grâce à l'armée, mais ceux-ci se font attaquer par une des créatures (dans une scène qui se déroule au tout début du film).
Monsters n'est pas un film standard. Si Steven Spielberg avait choisi de ne pas montrer son requin dans Jaws car ce dernier était mal fait, il était plus simple et logique de ne pas le voir tout le temps, là où cacher des aliens de dizaines de mètres est plus compliqué. Pourtant, si on peut se dire qu'Edwards a caché ses créatures car elles ont été créées sur un ordinateur portable avec Adobe, Zbrush et Autodesk, et que leur rendu est bien loin de celui des films d'Hollywood, les cacher devient un réel élément de l'intrigue. Tout le long du voyage, on ne sait pas quand elles vont surgir, on ne sait même pas si elles vont surgir. Et quand elles le font, les personnages ne sont même pas là, sauf à la fin. D'ailleurs, à la fin, loin de les faire tout casser, tuer tout le monde avec des cris ou des tirs de mitraillettes, elles s'accouplent devant le regard ébahi de deux spectateurs.
Le réalisateur le dit lui-même, il voulait faire un film qui se passait après les cris, les coups de feu, les explosions et la démolition, dans un monde où voir un alien d'une dizaine de mètres est considéré comme normal.
Le sous-texte politique du film est encore plus présent et dénonçant. Il y a ce fameux mur, qui sépare les Etats-Unis et le Mexique, protégeant les premiers des créatures, au dépend des deuxièmes.
Il y a aussi ces scènes de recueillement et de tristesse, disséminées un peu partout dans la première moitié du film. Au départ, on croit que les gens qui sont morts ont été tués par les créatures, jusqu'à ce que l'on comprenne qu'ils ont été tués à cause de bombe à gaz lancées par les Etats-Unis pour se protéger des créatures. Des gens tués par des bombes lancées afin de protéger une nation au détriment d'une autre. Une zone infectée où il faut porter un masque spécifique. Des régions évacuées. Le choix d'Edwards pour le prochain remake de Godzilla devient soudain plus logique.
Enfin, le film est d'une poésie renversante. Si l'histoire des personnages n'est pas franchement nouvelle ou intéressante, on l'oublie directement quand on voit la beauté des paysages.
Et la beauté des aliens aussi. Au delà de les voir massacrer des gens (ce que font surtout les humains), on les voit s'amuser avec les lumières, jouer entre eux, ce qui certes a déjà été fait dans d'autres films... Mais on les voit littéralement en train de s'accoupler. Alors certes, la scène n'est pas claire et les deux animaux pourraient être juste en train de se dire bonjour ou bien de se papouiller qu'on ne verrait pas la différence. Il n'empêche, c'est osé et nouveau.
En bref, si le choix surprend, il est beaucoup plus logique que celui d'Emmerich dans les années 90. Quand ce dernier disait clairement qu'il n'aimait pas Godzilla, Edwards respire l'amour envers le genre Kaiju. Quand Emmerich montrait des CGI, des explosions et de l'humour, Edwards cache ses bestioles, ne veut pas voir les gens courir dans tous les sens et montre de la poésie.
Dès le début, Edwards montre qu'il sait parfaitement jouer avec cette dernière : en filmant la catastrophe de la mine, il filme de très haut les ouvriers : on a l'impression de voir une fourmilière. Si on se doute que l'on a la vue d'un hélicoptère, on sent que le réalisateur veut plutôt nous faire découvrir le point de vue qu'auront les créatures de nous tout le long du film : des petites fourmis qui peuvent chatouiller. Des plans de foules comme celui-ci reviendront plusieurs fois le long du film, dont des moments où les monstres sont présents. Tout ça pour représenter leur vision à eux. C'est quelque chose d'inédit pour un Godzilla.
Edwards ne s'en tient pas là pour jouer avec les perspectives, les couleurs ou les sons. Ainsi, après l'introduction haletante de plus de deux minutes, le nom du film apparaît dans un fond blanc parsemé de cendres atomiques, avec une musique douce. Comme pour rappeler qu'après la bombe nucléaire lâchée sur Hiroshima, il n'y a rien eu d'autre que le silence qui s'est abattu sur la ville.
Un petit moment plutôt rigolo au niveau sonore se trouve vers le début du film : lorsque Ford et Joe se trouvent chez ce dernier, le ton monte entre les deux et en fond, la bouilloire commence à siffler sérieusement. Le moment n'est pas prenant ou quoi mais souligne simplement la manière dont seront gérés le sonore et le visuel dans le reste du film.
La base de Monarch, située sur l'ancien site de la centrale nucléaire de Janjira, démontre aussi la beauté de ce que sait faire Edwards, puisque le tout se trouve dans un lieu sombre sublimé par des points de lumière. L'effet rendu est sacrément plus joli que si la scène devait se dérouler de nuit.
Lorsque l'on est dans la base militaire qui suit les vidéos des soldats censés chercher un sous-marin en pleine forêt, la caméra zoome sur un des écrans de télé, et on pourrait s'attendre à un fondu pour que l'écran devienne complètement la caméra et qu'on suive les soldats : or, celle-ci passe alors au plan d'un petit iguane dérangé par les soldats. Le plan est joli et rigolo, puisqu'il n'offre aucun sens de grandeur : l'iguane pourrait être immense ou minuscule. Ensuite, ce dernier est dérangé par les soldats et s'en va tranquillement, comme si il n'avait pas plus peur d'eux que Godzilla n'a peur d'eux.
Lorsque les soldats recherchent la spore de la femelle MUTO au Nevada, il y a un plan que j'adore où l'un d'eux ouvre une petite lucarne et qu'un torrent de lumière se déverse dans cet endroit si sombre. Ensuite, tous les soldats se retournent en même temps, et le bruit de leurs armes cliquettent de la même manière, ce qui crée un effet sonore coordonné plutôt agréable. De plus, il y a un parallèle entre l'endroit qu'elle a détruit, et donc la brèche pleine de lumière qu'elle a créée, et l'exacte même brèche créée par le mâle MUTO au tout début du film.
Un des plans qui me plaît le plus de tout le film et me donne toujours des frissons malgré son apparition très furtive : lorsque Ford et Moralez sont sur le pont pour vérifier si le train peut passer, ce dernier déclare à la radio qu'il n'y a rien à signaler. La caméra monte alors et on découvre que le fond du décors n'est pas la montagne mais la femelle MUTO en train de bouger, et le plan coupe au train. Ce moment est digne d'un film d'horreur parce qu'il est tellement furtif que l'on peut croire avoir mal vu, et si on pense le contraire, les deux personnages sont dos à la MUTO, et viennent d'annoncer que tout va bien.
Une image qui est ma préférée de tout le film, c'est celle que l'on voit après la scène du Golden Gate : Godzilla vient de le briser sans le vouloir, il se fait attaquer et pousse son cri. La scène est magnifique parce qu'il y a une vraie profondeur de champs : la caméra se trouve sur un des nombreux bateaux de l'armée, puis deux avions passent au dessus pour former des lignes de perspective, et en fond se trouve Godzilla. Le tout n'est fait que de ton de gris, ce qui rappelle évidemment le film de 1954 qui était en noir et blanc.
Enfin, pendant la scène du saut en parachute HALO, au lieu de nous vriller les tympans avec le bruit de l'orage qui tonne, le son est quasi entièrement coupé, et est remplacé en fond par le morceau du Requiem de Ligeti, qui rappelle aussi bien le sifflement de l'air que les cris des monstres. Le visuel, quant à lui, est sublime, avec un nuage d'orage envoûtant San Francisco, et le tracé des fusées éclairantes des soldats créant des traînées de sang dans ce ciel en tempête. Le saut dur assez longtemps, et un de mes plans préférés est celui où, à la 1ère personne, on voit Godzilla hurler. C'est beau, c'est nouveau, c'est retentissant. Beaucoup ressortent du film avec cette scène dans les yeux, et moi de même.
Cependant, pour expliquer tous ces points plus clairement, il sera beaucoup plus simple de le faire en décryptant ma scène préférée du film, qui est aussi ma scène préférée tous films confondus : celle d'Honolulu.
La scène démarre avec l'unité de soldats recherchant un sous-marin dans la jungle. Après avoir cru à une erreur, ceux-ci découvrent la carcasse de l'engin, éclairée subitement par trois hélicoptères, avec un son de tambour quand les lumières se déclenchent, et ils disent alors avoir trouvé le MUTO, que l'on voit ensuite se nourrir.
La scène continue dans le bateau de l'armée, où le général parle à Serizawa. A la fin de la conversation, si on écoute bien, on entend en fond quelqu'un déclarer « On a capté autre chose. En approche, dans le Pacifique. » Serizawa l'entend et dit à Graham qu'il veut absolument voir ça, s'il s'agit de Godzilla. La musique s'emballe, des avions de chasse décollent dans un vacarme assourdissant, on sent la tension commencer à monter quand des hélicoptères déposent des soldats sur les toits des immeubles, le tout vu par une foule qui n'a pas l'air de comprendre ce qui se passe. La musique s'est calmée, tout comme l'est la foule.
Le musique reprend son rythme stressant quand on voit de nouveau les soldats se poser sur les immeubles, puis redevient calme lorsque l'on passe à Ford dans le tramway, où la foule observe aussi, préoccupée, les avions de chasse passer avec leur bruit fracassant. Seul Akio lance un « Wouah ! » d'enfant trop jeune pour comprendre la gravité de la situation.
On repasse au Hokmuto, que les hélicoptères commencent à déranger. Puis il lève doucement une de ses pattes, et la lueur précédant l'EMP se fait voir. Lorsque cette dernière fait effet, un des hélicoptère tombe en panne, et s'écrase en explosant au milieu des soldats, les éjectant.
La force de l'explosion est diminuée lorsqu'on la voit de loin, à côté du tramway qui s'arrête à cause de l'EMP.
Si les voyageurs n'ont pas conscience de l'explosion, la foule présente sur la plage la voit et commence à être inquiète. Une petite fille s'approche du bord de mer, et on peut voir l'eau se retirer lentement...
C'est là que se déclenchent les sirènes qui annoncent le tsunami. J'habite dans une ville où une sirène comme ça retentit chaque mois afin d'être testée, dans le cas où le barrage qui retient l'eau à quelques kilomètres de là céderait (et donc la ville serait engloutie), ou bien qu'il y ait eu un problème dans la centrale nucléaire la plus proche. J'ai grandis avec les exercices d'évacuation et cette sirène me donnait des cauchemars. Qu'elle soit utilisée là fait vraiment monter la tension pour moi. Tout comme pour la foule, qui commence à courir en hurlant.
On repasse à Serizawa qui aperçoit un aileron, puis deux, puis trois... Godzilla arrive ! Ce dernier passe sous les porte-avions et se dirige vers la ville : il arrive tellement vite qu'il est celui créant ce tsunami.
Retour sur la foule qui essaye d'échapper à la vague. La musique est très rapide et souligne l'étendue des dégâts de l'eau: on suit celle-ci dans sa destruction depuis un toit d'immeuble, ou des civils regardent, médusés, la catastrophe.
On suit toujours la vague puis des lumières qui s'éteignent progressivement dans un immeuble : arrivés en haut de celui-ci, le silence est absolu et l'écran noir... Jusqu'à ce que soient tirées quatre fusées éclairantes, brisant d'un coup le silence avec leurs « bam bam, bam bam » et qui font disparaître la noirceur avec leur lumière. Leur lumière qui éclaire alors un corps si grand que la caméra ne peut l'englober. Le plan coupe devant des visages soucieux de personnes ne comprenant pas ce qu'elles voient, puis une patte avant apparaît, une patte arrière, et la foule se met à hurler quand des soldats font feu. Le plan coupe de nouveau sur un bout de queue qui disparaît derrière un building : Godzilla est là.
On repasse aux soldats de la jungle, qui se demandent tous où est le MUTO, quand les lumières se rallument et que les seuls endroits de la ville qui restent dans l'obscurité sont ceux que le monstre a piétiné.
Les lumières se rallument aussi dans le tramway, et elles le font petit à petit sur les rails... Jusqu'à éclairer le MUTO qui se trouve sur lesdites rails. (il m'a toujours semblé aussi apercevoir Godzilla en fond mais je n'ai jamais vu personne d'autre noter ça).
Dans une horreur teintée d'ironie, le tram se dirige doucement vers le MUTO. Ce dernier casse le wagon où se trouve Ford, et la plupart des gens chutent dans cet abysse qui vient de s'ouvrir. La voix qui continue malgré tout, et qui annonce « Attention à la fermeture des portes » continue dans l'ironie de la scène.
On coupe de nouveau pour se retrouver dans l'aéroport même d'Honolulu, où une employée se cache sous un avion. De l'eau lui recouvre les pieds et indique par la même l'arrivée prochaine de Godzilla...
Un hélicoptère tire sur le MUTO, puis des épines dorsales apparaissent de nul part et, se prenant dedans, l’hélicoptère s'écrase sur les ailes du MUTO puis au sol. L'explosion provoque celle d'un avion, puis par domino celle d'un autre avion. Le bruit des déflagrations s'accompagne des cris de la foule... qui se tait de stupeur lorsque la patte de Godzilla apparaît.
Le MUTO se retourne et fait face à ce nouvel arrivant. On voit alors les deux pattes de Godzilla, et la caméra remonte lentement le long du corps, avant que l'on voit la tête et que le Roi des Monstres pousse son cri... et on coupe la scène.
Bon ! Par cette description de la scène, je voulais essayer de transposer la façon dont elle est si magistralement menée, en appuyant principalement sur le mouvement de la caméra, les sons et le rythme, pour démontrer une chose : Edwards manie la tension comme je ne l'ai jamais vu. Pas la tension qui mène à faire peur, celle qui fait monter l'adrénaline. En multipliant les scènes rapides ponctuées d'une musique stressante puis les scènes d'attentes où le spectateur sait que quelque chose arrive mais pas les personnages, puis en intensifiant de plus en plus le rythme, n'hésitant pas à couper complètement le son et l'image par moment pour mieux les faire revenir, il démontre à quel point il sait conduire tous ces éléments.
Que ce soit les sons des cris, des tirs, des bestioles, des explosions, la musique qui alterne entre rapide et effrénées et douce, le visuel qui joue avec des petits bouts de Godzilla par ci par là et des éclats de rouge, de jaune ou de blanc dans un océan de sombre, tout est manié au millième de seconde près. C'est pour ça que cette scène aura du mal à être égalée, pour moi, dans le reste du cinéma.
On pourrait me dénigrer en me parlant de la coupe de la scène, puisque on ne voit pas le combat entre l'Hokmuto et Godzilla : le but de la scène n'était pas d'introduire un combat, mais d'introduire Godzilla. Ce qui fait que la scène coupe au moment opportun : celui où ce dernier apparaît entièrement. La scène aurait largement perdu de sa saveur si on avait vu le combat se dérouler parce que toute la tension accumulée aurait été trop forte. Le film préfère se calmer avant de montrer son combat plus loin.
Pour bien montrer qu'il ne s'agissait pas que d'un coup de chance, essayons avec une scène plus courte mais pas moins prenante, celle du souffle nucléaire.
Ford vient de faire exploser les œufs des MUTOs. La femelle délaisse Godzilla, qui est au sol, et se dirige vers ce qu'il reste d'eux. Elle pousse des cris déchirants avant d'apercevoir Ford et de comprendre qu'il est à l'origine de tout ça.
Ce dernier ne peut rien faire que l'observer. Une lumière bleue apparaît et un son se fait entendre, distrayant Ford de la femelle, puisqu'il tourne ses yeux vers la source de lumière.
Celle-ci n'a d'abord aucun point centrale, puis on se rend compte qu'il s'agit des épines dorsales de Godzilla, qui s'allument les unes après les autres, de bas en haut. Plus elle s'allument, plus un bruit de chargement assourdissant se fait entendre. Le bruit enfle, la femelle pousse des cris intrigués de plus en plus craintifs et moins forts, et la silhouette de Godzilla apparaît grâce à la lumière bleue qu'il émane et l'orage qui se trouve derrière. Le temps semble s'arrêter tandis qu'il parait retenir sa respiration...
Et crache son souffle nucléaire sur la femelle. La caméra change au haut d'un building où des soldats intrigués courent pour mieux voir ce qui se passe. Le plan change de nouveau, on est maintenant au sol avec les soldats et leur bombe, et l'un d'eux s'exclame « Qu'est ce que c'était que ça ? Oh merde, vous avez vu ça ?! », réaction on-ne-peut-plus réaliste. Godzilla reprend son souffle, la femelle se rapproche, et il crache de nouveau ce qui la fait reculer.
Petite scène donc, mais elle donne les frissons à chaque fois. Là aussi, tout est géré à la perfection : son, image et lumière, attente entre les scènes pour que le spectateur puisse monter en tension. Edwards fait la même chose pour chaque scène qui implique un monstre : au tout début à Janjira, avec l'éclosion du MUTO, avec Godzilla sur le Golden Gate, puis avant le combat final. C'est une mise en scène qu'on ne retrouvera pas ou très peu dans les suites et qui est vraiment la patte du réalisateur.
Oh puis non, j'ai envie d'en faire une dernière : celle du Golden Gate, où Godzilla est tout seul.
Dans la tente des militaires, on nous dit que Godzilla est presque parvenu à San Francisco. Stenz se retourne vers un écran de contrôle et déclare qu'il reste encore des bus d'enfants sur le pont.
Coupe sur ledit pont, on voit les préparatifs des militaires, il y a des dizaines de voitures qui font un bruit assourdissant, des chars d'assauts, des bateaux qui font pouet, les enfants dans le bus où se trouve Sammy crient et jouent. Puis le cri de Godzilla retenti au loin et tout le monde se tait. Ne se fait entendre que le son de la pluie.
Le conducteur du bus, dans une scène qui est évidemment un clin d’œil au Jurassic Park de Spielberg, enlève la buée de sa vitre. Toute la scène est en suspension et en attente... Et une mouette se tape contre une vitre du bus. Seul jumpscare du film, il est placé à un moment opportun.
Des centaines de mouettes passent en criant, et comme tous les personnages présents on est hypnotisés par ce spectacle et on les regarde, oubliant le danger. Puis un soldat annonce « A bâbord, à deux-cent mètres ! ».
Comme les militaires, on tente d’apercevoir ce qui vient. Les ailerons de Godzilla arrivent, tout comme la musique, le tout rappelant les Dents de la Mer.
Godzilla s'arrêt
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2014, Les films avec les meilleurs effets spéciaux, Top 10 Films et Les meilleurs films sur Godzilla
Créée
le 12 déc. 2022
Critique lue 236 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Godzilla
J'ai jamais pu encadrer les monstres. Vraiment pas mon truc. Ça sert vraiment à rien un monstre quand on y pense, juste à vous foutre un chambard pas possible et à déféquer dans tous les coins de...
Par
le 20 juin 2014
88 j'aime
29
Le nom de Godzilla a depuis bien longtemps dépassé sa simple origine. Il est entré par les déflagrations de vigueur dans la culture populaire et s'est imposé en symbole de destruction apocalyptique,...
Par
le 22 juil. 2014
86 j'aime
26
Une fois n’est pas coutume, commençons sans ironie aucune par ce qui est sauvable dans ce film que je suis allé voir à cause de Stéphane Bou, qui dans un épisode récent de « Pendant les travaux, le...
le 4 juin 2014
69 j'aime
7
Du même critique
Aujourd'hui, critique de série ! Eh oui, déjà que je ne suis pas douée pour les films, je m’attelle à une de série. Logique. Bref, je vais donc faire part de mon avis concernant une série qui...
Par
le 22 nov. 2015
11 j'aime
5
Lien vers mon blog pour une meilleure mise en page : https://miellez.wordpress.com/2022/11/03/dragon-2-contradictions-dans-un-film/La trilogie des Dragon est probablement une de celle qui m'a fait...
Par
le 12 déc. 2022
11 j'aime
5
S'il y a bien une saga qui m'a vu grandir, c'est Pirates des Caraïbes. Je n'ai jamais vu aucun des films au cinéma mais j'étais très souvent plongé dedans. J'ai toujours trouvé le premier volet...
Par
le 5 mars 2017
10 j'aime
5