Godzilla cru 2019 a tous les symptômes du mauvais blockbuster américain post-2001 : un goût exacerbé pour la destruction massive, la propension à transformer ses héros en martyrs, une incapacité à rendre au chaos sa puissance déstructurée et imprévisible. Car chaque scène ici n’est qu’une perle que le film enfile l’une à l’autre pendant plus de deux heures, et ne semble dotée d’aucune répercussion sur la suivante : les monstres apparaissent et disparaissent selon une logique de jeu vidéo, et la clausule voit logiquement s’affronter tous les titans pour la grande apothéose d’ailleurs invraisemblable. S’il fallait pourtant motiver le visionnage de cette suite ô combien inutile (exception faite des effets spéciaux réussis et d’une certaine vision de l’apocalypse), ce serait à coup sûr cette terreur qui imprègne l’écran, cette terreur américaine de perdre le contrôle face à une puissance supérieure. Nous ressentions ce même état face à Jurassic World lorsque, par exemple, un dresseur recourait à ses dinosaures pour se tirer d’embarras, ou encore quand une jeune fille libérait dans la nature toute une cave remplie de monstres (la conclusion de Godzilla calque d’ailleurs celle du second Jurassic World, plan pour plan). Et pour pallier l’angoisse de l’anéantissement, chaque affrontement place sur le même plan les monstres et les hommes, comme s’il fallait prouver que l’humanité détenait en elle un gigantisme susceptible de rivaliser, voire de surpasser – n’oublions pas que les titans se font les marionnettes des ambitions scientifiques et militaires – les forces à l’origine de la création de l’univers. En jonglant ainsi avec les deux échelles, le film réduit le mythe qu’il est censé incarner à une ressource énergétique que l’homme vient exploiter quand la situation s’aggrave. Derrière le pseudo-message écologiste se cache, en fin de compte, un plaidoyer pour la domination humaine sur toutes les espèces, de la même façon qu’Hollywood pense régner en maître sur les cultures : la sénatrice, le colonel Diane Foster et l'officier Barnes incarnent la minorité afro-américaine, les docteurs Serizawa et Ilene la minorité asiatique. Et de leur bouche jaillissent les pires clichés sur la civilisation qu’ils représentent : les afro-américains sont des chefs de guerre intrépides, les chercheurs asiatiques des philosophes de l’âme humaine et animale, capables de sagesse et de sacrifice de soi (le samouraï n’est jamais loin). Si Godzilla: King of the Monsters manque cruellement d’intelligence, c’est parce qu’il ne constitue qu’une étape intermédiaire entre le mythe originel et sa fusion avec d’autres grands noms américains tel King Kong : pièce d’un puzzle plus vaste sous forme de gloubi-boulga artistique et de reniement du cinéma au profit de la structure sérielle, le film pousse les forces en présence tellement loin qu’elles finissent par s’annuler et lasser le spectateur. Toujours plus haut, toujours plus gros, toujours plus insipide. On attend la confrontation du Roi avec les super-héros des deux écuries qui, à force de fulgurances, finira bien par mettre le feu à la pellicule.