Le roman dont le film est adapté s'appelle "Les apparences". Ce mot résonne tout au long de "Gone Girl". L'auteure, Gillian Flynn, a elle même écrit le scénario.
Il s'agit là d'un faux polar. Un thriller passionnant plein de cynisme dans le portrait qu'il fait de ses protagonistes. Fincher signe un film extrêmement abouti sous toutes ses formes. La photographie et le ton musical sont captivants. Grande réussite encore pour la direction d'acteurs. Casting parfait avec une performance incroyable qui ressort.
Pour ne pas trahir ses habitudes, Fincher livre un film fleuve. Néanmoins ce n'est jamais trop long ou ennuyeux. On se laisse facilement entraîner par le courant "Gone Girl". Le roman semble parfaitement adapté tant le long-métrage est passionnant de bout en bout. A la fois intriguant dans le polar qu'il construit et subjuguant dans le portrait qu'il dresse.
"Gone Girl" se joue des apparences avec cynisme. Au-delà du twist, presque anecdotique, le film défait les à-priori avec brio. Il donne aussi une illustration très désabusée de l'être humain. De l'institution médiatique à la famille en passant évidemment par l'amour et le couple, tout est détruit. Une vision désenchantée plus saisissante que déprimante, un humour acerbe délicieux.
Le fait-divers montre le journalisme dans ses plus-bas instincts. Un acharnement caméra à l'épaule et micro tendu consternant. Le crépitement des flashs et les incessantes questions deviennent un bruit de fond. Le parti pris spéculatif des médias dessine sans mesure l'image d'un mari mauvais. Une absence totale de présomption d'innocence qui détruit Nick Dunne et sa famille. "Gone Girl" montre à quel point le traitement médiatique d'une affaire est capable de fausser la réalité, ou du moins d'en inventer une. C'en devient jouissif de voir les personnages finir par en jouer.
"Gone Girl" traite aussi de la misogynie. Ce n'est pas le personnage d'Amy qui insulte franchement l'image de la femme. Elle n'incarne pas le cliché masculiniste mais au contraire elle est d'une folle singularité.
Non, c'est la succession de généralités faites par les autres personnages qui déborde grossièrement de cette misogynie. Le film ne défend pas l'image de femmes vénales et manipulatrices, mais la tourne en dérision à travers les propos absurdes de ses protagonistes; «...marre de me faire manipuler par toutes ces bonnes femmes » ou « comme toutes ». David Fincher n'épargne rien ni personne, à part la sœur et la flic.
C'est intéressant aussi dans la façon de défaire la beauté de l'amour. Comme le laissait présager la bande-annonce, le film commence sur un ton langoureux. Présentation d'une belle rencontre. La relation devient naturellement maussade et amer. La soudaineté de ce volte face montre avec authenticité le potentiel d'un couple de faire bonne figure en public. Ce qu'on voit en surface peut cacher d'immenses failles et douleurs. Parfaitement juste, mais tellement désabusé !
Au-delà de la singularité de l'histoire, ce que rencontre Nick et Amy évoque de façon plus universelle la question du confort dans un couple divisé, qui ne fait plus que cohabiter.
Les parents ne sont pas épargnés non plus. Ceux d'Amy représentent la masse qui ne sait plus penser par elle même. Alors qu'ils sont au plus près de la réalité, ils suivent les spéculations vendues par la télévision. D'une crédulité affligeante. Ils sont en fin compte loin de leurs proches.
Il reste une part de bonté dans la famille. La sœur de Nick Dunne est adorable et sensible. Bien plus sensée, elle sent les choses, fait preuve de discernement. Ce qui en fait un rôle plus sympathique et plus humain. L'actrice Carrie Coon est excellente, une grande découverte (vue aussi dans "The Leftovers").
L'entourage "amical" du couple apporte une touche d'hypocrisie et de niaiserie humaine. La meilleure amie est porte à son paroxysme la stupidité, Neil Patrick Harris a dans ses yeux un vide abyssal qui creuse la vacuité de l'ex petit ami.
Si le titre du roman ("Les Apparences") met bien en avant le jeu de dupe que cette histoire décoche, celui de son adaptation sur grand écran est tout aussi riche de (double) sens. Une fille perdue ? Disparue ? Partie ?
David Fincher a trouvé l'actrice parfaite pour ce rôle pas si secondaire. Beaucoup de noms furent évoqués; Reese Witherspoon en premier lieu (productrice finalement), puis d'autres très célèbres.
Il y a comme une évidence dans l'incarnation de Rosamund Pike, une performance spectaculaire. Elle est d'une beauté glaçante qui donne corps et volupté au récit. Une interprétation qui évolue avec le film, et qui devient donc grandiose. Cette performance n'est pas sans faire penser à celle de Naomi Watts dans Mulholland Drive.
Pour continuer la parallèle avec le film de David Lynch; il y a un un érotisme fort qui se dégage de "Gone Girl". David Fincher sublime la beauté de ses actrices, même dans le laisser-aller (Carrie Coon). Film d'une grande sensualité.
Comme "Gone Girl" se construit sur les bases du polar il est difficile de raconter tous les éléments de l'histoire. On peut dire, puis-ce que c'est déjà fait dans ce billet, qu'il n'échappe pas aux rebondissements et aux révélations. Ces procédés habituels du genre peuvent être surfaits, ici ça s'inscrit dans un propos cohérent et passionnant. C'est amené subtilement, le scénario est construit à la perfection.
Il faut s'attendre à rencontrer un personnage d'une cruauté inouïe, reste à découvrir son identité.
« Ce qui caractérise un sociopathe, c'est son manque d'empathie ». Cette réplique très marquée prend un sens tout particulier, pas celui attendu. Sa concrétisation est convaincante.
"Gone Girl" fait partie des très grands films de David Fincher, et plus si affinité. Une plongée dans une ambiance fascinante. Scénariste, directeur photo, acteurs, compositeurs..., toute l'équipe donne une touche de brillant qui rend ce thriller mémorable.