"On se déchire, on s’engueule, on se détruit". "On appelle ça le mariage !"
Dans l'absolu, Gone Girl commence comme un conte de fées. Pendant une poignée de secondes. Un visage, radieux, pâle, magnifique ; celui de Rosamund Pike, se retourne et fixe la caméra. L'on aurait été subjugué si, par dessus l'image il n'y avait pas eu le commentaire. En l’occurrence celui de Ben Affleck qui déclare vouloir lui fendre le crâne.
Forcément, la comparaison avec Seven ne semble pas bien loin. Finalement, elle restera à bonne distance tout le long du film. Pendant le premier acte, Fincher s'attelle en effet à distribuer les cartes de SON thriller. Par l'intermédiaire de deux temporalités distinctes qui s'entrecoupent et se répondent magnifiquement, il construit une illusion totale, créé un jeu de piste insoluble et propose les fondations d'une intrigue dont tous les protagonistes semblent déliquescents. La narration à la première personne, l'art du parfait cadrage, le portrait brossé de l'Amérique des classes moyennes/hautes : tout y est parfaitement exécuté. En virtuose incontestable et incontesté du cinéma d'adaptation, le réalisateur use de sublimes images cinématographiques, tout en révélant peu à peu de lourds secrets qui pèsent sur ses personnages, celui de Nick notamment. De surcroît, le spectateur évolue dans une incertitude constante, sommé de suivre un jeu de piste dont les tenants et les aboutissants demeurent flous.
En revanche, ce qu'il y a de neuf chez Fincher depuis Zodiac, c'est assurément le montage rapide, ultra-léché et parfaitement dosé, stimulé depuis The Social Network par les compositions de Trent Reznor et Atticus Ross qui livrent, ici encore, une OST dantesque et sombre, palpitante et organique.
Puis, peu à peu, sans que l'on ne s'en aperçoive jamais vraiment, c'est un monde de monstres auquel le spectateur est confronté. Tout devient malsain, viscéral, pervers. Dans le meilleur des cas, tout cela est refoulé par une tension sexuelle indicible ; dans le pire (et le meilleur en terme de cinéma), Gone Girl finit par se rapprocher de Fight Club, de par son aspect virulent, sordide mais surtout diaboliquement cynique. Jamais, depuis Fight Club donc, un réalisateur si prisé ne s'était attaqué à une institution telle que le mariage avec une férocité pareille. Peu importe que la satire soit ou non contenue dans un souffle d'humour noir ; le fait est qu'elle est là, qu'elle est bien là, et qu'elle restera gravée au fer rouge, pour cette année comme pour longtemps. Tout n'est alors plus qu'apparences, duperies, mensonges, coups bas et trahisons ; le piège se referme sur le(quel ?) personnage comme le film sur le spectateur.
Deux éléments - l'un un détail, l'autre une globalité - marquent particulièrement : le premier est une séquence tout en narration où l'un des personnages vide son sac et déballe ce qui sonne comme le premier véritable twist de ces deux heures et demie de passions exacerbées. Le second constitue toute la résolution de l'intrigue, dont on ne révélera rien ici, mais qui présente un constat ironique et ultra-pessimiste qui hante et continuera de hanter bien après la séance. Sous couverts d'une partition musicale calibrée pour un "happy end" et d'une interview télévisée répugnante - d'ailleurs pleine de sens sur ces fameuses et obsessionnelles "apparences" - le film débouche sur une terrible impasse. Il (Nick) sait tout, mais n'a toujours aucune solution. Il rappelle alors à sa femme qu’ils ne peuvent pas vivre ensemble : "On se déchire, on s’engueule, on se détruit". La réponse d'Amy - "On appelle ça le mariage !" - est d'une portée terriblement cruelle et colle des frissons à quiconque l'envisage sérieusement.
Rarement Fincher avait été aussi amer. Dans ce monde moderne et effrayant qu'est l'Amérique, où un avocat s'apparente à un conseiller en communication, où une ménagère devient une sociopathe obsessive et où les médias de masse font et défont l'opinion publique, il n'est plus permis de croire qui que ce soit : tout n'est qu'une question d'apparences. Et le réalisateur de nous offrir un chef d'oeuvre. Encore un.