Loooove iiiiis gooooooone !
Par Tyler.
Auteur de son dixième long-métrage avec Gone Girl, David Fincher est sans conteste un des plus grands réalisateurs de notre époque. Il est aussi un des rares dont on attend chacun de ses nouveaux films avec impatience. Après Alien 3, Seven, The Game, Fight Club (mon petit préféré, évidemment), Panic Room, Zodiac, L'Etrange Histoire de Benjamin Button, The Social Network et Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, David Fincher repasse l'épreuve du feu avec Gone Girl. En adaptant le roman Les Apparences de Gillian Flynn, le réalisateur s'essaie de nouveau à un exercice qu'il maîtrise : Fight Club, Benjamin Button, The Social Network et Millenium étant aussi des adaptations de livres.
Gone Girl raconte l'histoire de la disparition d'Amy Dunne, incarnée par Rosamund Pike, le jour de son cinquième anniversaire de mariage et dans d'étranges circonstances. Son mariage avec Nick (brillamment interprété par Ben Affleck) battant de l'aile avant l'évènement, enquêteurs et journalistes se demandent si le criminel n'est pas le mari. Celui-ci ne montrant que peu de désarroi suite à la disparition de sa femme, le public se range rapidement du côté des médias l'ayant déjà qualifié de monstre. En parallèle de l'avancement des recherches pour retrouver sa femme, Nick va tout faire pour prouver qu'il n'est pas l'assassin d'Amy. Avec l'aide de sa soeur Margo (Carrie Coon) et de son avocat spécialisé en défense des maris Tanner Bolt (incarné avec passion par Tyler Perry), Nick va devoir lutter contre les enquêteurs, les journalistes et toute l'opinion publique qui s'est retournée contre lui. S'il semble être innocent, de nombreux indices et en particulier la découverte du journal de sa femme semblent prouver le contraire. Le spectateur va ainsi être plongé dans un doute perpétuel : Nick a-t-il tué sa femme ?
Le film se déroule en alternant des scènes de la vie de couple relatée par le journal intime d'Amy et la trame principale.. Cette alternance est primordiale dans l'ambiance que dégage le film, elle permet de montrer la décrépitude progressive du mariage du couple parfait que formait Nick et Amy, puis de soudainement revenir à la réalité de Nick, torturé par les médias et la police. Ces transitions permettent aussi de mieux cerner les personnages des mariés, en racontant leur histoire et leur évolution. Elles permettent aussi au spectateur de se détendre entre plusieurs scènes tendues où Nick est acculé et accablé par les preuves de sa culpabilité. Enfin, cette alternance se révèle capitale dans la façon d'amener le twist du film... Et oui, il y a un retournement de situation ! Celui-ci, à la fois étonnant et attendu, amène un revirement de situation vers une tournure passionnante qui relance l'histoire qui était déjà pleine de tension et de suspense...
Avec Gone Girl, le réalisateur nous retourne le cerveau : Ben Affleck nous ment-il ? Qu'est-il réellement arrivé à Amy ? Où était-il réellement au moment où sa femme a disparu ? Toutes ces questions trottent dans la tête du spectateur, aidant à rendre l'atmosphère globale du film très tendue. Atmosphère tendue, mais pas malsaine telle que celle de Seven par exemple. En effet, Gone Girl est porté par une bande originale (plutôt) relaxante réalisée par Trent Reznor et Atticus Ross. Ce n'est pas la première collaboration des artistes avec David Fincher pour qui ils avaient déjà réalisé la bande originale de Millenium et de The Social Network, cette dernière ayant remporté l'Oscar de la meilleure bande-originale de film en 2011. Trent Reznor a récemment expliqué dans The Wall Street Journal ce que le réalisateur leur a demandé : "Think about the really terrible music you hear in massage parlors. The way that it artificially tries to make you feel like everything's OK. And then imagine that sound starting to curdle and unravel." (Pensez à cette très mauvaise musique qui passe dans les instituts de massage. La manière artificielle qu'elle a de vous faire croire que tout va bien. Et après imaginez ce son qui commencerait à tourner au vinaigre). La bande sonore de Gone Girl (que vous pouvez écouter gratuitement sur Spotify) correspond parfaitement à ce qu'avait demandé le réalisateur et permet de renforcer l'alternance entre des scènes tendues et des scènes plus relaxantes. Le thème musical est omniprésent dans le film et joue un rôle à part entière dans le ressenti du spectateur. Au-delà de la bande originale du film, le réalisateur a placé quelques musiques bien choisies comme lorsque que (Don't Fear) The Reaper de Blue Öyster Cult passe à la radio dans la voiture de Nick : Ben Affleck est-il le reaper (la faucheuse, le tueur) ?
Si David Fincher ne s'est pas trompé dans le choix de Reznor et Ross pour la bande-son de son film, son choix des acteurs a été tout aussi pertinent. Ben Affleck répond aux critiques en nous prouvant film après film qu'il n'est pas qu'un "beau gosse" d'Hollywood. Après avoir été consacré comme acteur et scénaristes pour Good Will Hunting et Argo, Ben Affleck revient dans Gone Girl comme mari (pas trop) éploré. Son jeu juste rajoute au malaise que l'on ressent en regardant le film, en arrivant à la fois à nous convaincre de son innocence et à soulever le doute sur celle-ci. Le spectateur est ainsi perdu dans son jugement sur le personnage qui l'accompagne pourtant pendant toute la durée du film ! Le jeu troublant de Ben Affleck contraste ainsi avec celui Rosamund Pike, interprètant à la perfection une Amy froide et distante. Le couple de mariés désabusés amenant une tension perceptible dans le film, il fallait un acteur pour détendre l'atmosphère et c'est le cas de Tyler Perry,alias Tanner Bolt l'avocat de Nick. Son air jovial et sa bonne humeur communicative détendent le film d'une manière rafraichissante. Du côté des personnages secondaires, Carrie Coon est remarquable en sœur bien plus touchée par le drame qui arrive à son frère jumeau Nick que ce-dernier. La jeune Emily Ratajkowski, qui avait été découverte grâce à son topless dans le clip de Blurred Line de Robin Thicke, ne dénote pas dans son rôle de jeune écervelée, faisant ainsi sa première apparition dans un film notoire. On peut cependant être déçu par la performance de Neil Patrick Harris, jouant Desi Collings (un ex d'Amy). Son jeu plat contraste avec celui qu'il avait pu nous montrer en tant que Barney Stinson dans How I Met Your Mother. Mais peut-être était-ce à la demande du réalisateur qui voulait souligner l'aspect lisse et peu haut en couleur du personnage de Desi.
Gone Girl pose les bases de réflexions intéressantes pour le spectateur. Le thème principal du film étant le mariage qui s'effrite, Fincher déchiquète le mariage en nous montrant un couple Nick et Amy qui décrépit. Cet aspect est particulièrement bien abordé par le réalisateur : un problème de fond, des acteurs convaincants et des dialogues bien sentis. Celui-ci pose les problématiques sans pour autant utiliser de ficelles trop grossières, ce qui amène le spectateur à se questionner sur l'union de deux personnes et sur le secret d'un mariage réussi pour ne pas imiter Nick et Amy. Un autre thème intéressant est abordé : la crédulité du public assouvi aux médias en continu. Gone Girl est une vraie satire de l'effet de masse symbolisé par la naïveté du public et par extension une ode au libre-arbitre.
Gone Girl critique la société de spectacle, aussi bien les médias en continu qui traquent et interpètent à tort et à travers chaque nouvelle information croustillante, que les spectateurs qui s'abreuvent de ses informations. Du début à la fin, le public ne fait que changer d'avis en permanence, ce que le spectateur trouve ridicule. On se moque facilement de ses moutons dont les pensées sont dictées et édictées par les médias, ces gens qui n'ont aucun libre-arbitre et qui croient tout ce qu'on leur fait avaler, ces gens dont les sentiments pour l'homme au centre de l'attention des médias peuvent passer de la pitié à la haine en passant par le soutien moral, suivant les interviews et les reportages. Ce panurgisme (en référence aux moutons de Panurge dans le Quart Livre de Rabelais) est bien tourné en ridicule pour le faire prendre conscience au spectateur. Cependant, l'histoire ne s'arrête pas là. Lors de toute la durée du film, vous êtes plongés dans le doute et votre propre ressenti pour le personnage incarné par Ben Affleck se modifie. Fincher réussit la prouesse de faire comprendre au spectateur qu'il ne doit pas laisser les autres et en particulier les médias, et donc son propre film, prendre le contrôle de ses pensées et de ses opinions. Cela est encore plus remarquable par l'opposition entre les deux policiers chargés de l'enquête de la dispariton d'Amy. Si l'officier Boney est une sceptique voulant aller au bout des choses avant d'émettre son jugement, son collègue l'officier Gilpin lui, bacle ses jugements et se convainc d'évidence qui n'en sont pas. Ainsi, ce film est aussi un hymne à la liberté de pensée et s'oppose au moule des médias en continu qui nous empêche de prendre du recul et de se faire notre propre avis sur les évènements et les situations. David Fincher a ainsi de nouveau choisi d'adapter un livre légèrement contestaire, bien qu'il ne faille pas chercher du Fight Club dans Gone Girl.
Avec Gone Girl, David Fincher déchiquète le mode de vie américain rêvé et idéalisé : mariage heureux, pavillon en banlieue, maison avec jardin, amitié entre voisins... Cet American Way of Life apparaît alors comme un monde féroce, où chacun veut voir le mal chez son voisin afin de pouvoir le honnir paisiblement et pouvoir continuer à penser que les autres sont bien pires que lui-même. Ce mode de vie dont le paroxysme réside dans le mariage; l'union sacrée entre deux personnes faisant le serment de s'aimer et de se chérir dans le bonheur et dans le malheur, de se jurer fidélité et de se protéger, pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort les sépare; est mis en pièce par Fincher. Dans Gone Girl, la figure du mariage est représenté par Nick et Amy Dunne, couple en apparence parfait : tous deux étant beaux, riches et ayant (du moins, avant de le perdre) des métiers passionnants. Cependant, l'enquête policière force le public à creuser plus profond et il nous apparaît finalement que leur mariage n'est qu'un amas de faux-semblants, de machination, de vampirisation et de déception, bien loin des promesses de leur rencontre et de leur premier baiser, à New York, sous une pluie de sucre. Si Nick et Amy semblaient heureux quand il se sont rencontrés, ils ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes au bout de cinq années de mariage : "Qu'est-ce que nous nous sommes fait ?", se demande Ben Affleck en voix off dans la scène d'ouverture. On pourrait donc penser que le film est un constat de l'échec programmé du concept même d'union entre deux personnes, cependant, il propose des solutions afin d'éviter le désastre. En effet, Nick et Amy jouent chacun un rôle afin de plaire à l'autre et se sont convaincus que cette vie de faux-semblants réussirait à les rendre heureux, cependant Les Apparences (titre du roman original) ne peuvent rester éternellement et finissent par se briser en lambeaux, dévoilant ainsi la vraie personnalité jusqu'ici cachée de chacun.
David Fincher réalise de nouveau un excellent film avec Gone Girl. Aidé par une histoire passionnante et une intrigue prenante tiré du livre de Gillian Flynn, il y ajoute tous les ingrédients pour faire de cette adaptation une oeuvre à part entière. La patte du maître.