Les critiques ont été assez sévères lors de sa présentation au Festival de Berlin en lui reprochant une approche trop commerciale et clinquante.
Et c'est évident qu'on est bien loin du noir et blanc des démons à ma porte avec une mise en scène qui rappelle plutôt celle d'un Baz Luhrmann. Et j'ai beau exécré le "style" Luhrmann (et c'est encore un euphémisme) , je me suis amusé quand un petit fou devant Gone with the bullets qui est une véritable explosion de couleurs, de mouvements de caméra, de montage nerveux pour une réalisation inventive et imprévisible. C'est surtout vrai durant la première heure qui m'a délivré là aussi un rare sentiment d'euphorie visuelle.
Jiang Wen se contrefiche ainsi des anachronismes, les assumant même, utilisant ainsi "Summertime" de Gershwin 10 ans avant sa composition !
Le gala du concours de beauté est totalement fou dans cette optique : numéro de claquette, clip façon MTV, référence à Edward Hopper ou Busby Berkeley, couleurs explosives, mouvements de grues incessants, montage incroyablement dynamique, idées délirante (la bulle géante dans laquelle se trouve les deux compères qui explosera dans leur solo de trompette).
Contrairement à Luhrmann qui confond vitesse et précipitation, opulence et bling-bling, frénésie et hystérie, Jiang Wen canalise beaucoup mieux sa réalisation. On sent une vrai désir d'expérimentations pour une approche ludique qui semble sans cesse chercher à se réinventer. Plusieurs scènes ont clairement été tournés en plan-séquences avant d'être totalement remaniées et dynamisées au montage. Ainsi on sent souvent une continuité à l'intérieur des plans même avec plusieurs coupes. Il parvient ainsi à contourner les problèmes de reconstitution ou de (re)créations numériques et les transforme en moments de poésie comme la longue séquence en voiture où tout l'environnement est entièrement en image de synthèse. Le montage à l'intérieur de ce plan-séquence le transforme en joli moment mélancolique et intimiste tout en enrichissant la thématique même du film (un amour anticonformiste incompris de la société) et la psychologie des personnages (ils viennent de consommer de l'opium).
Toutes les séquences entre Jiang Wen (l'acteur) et Shu Qi possèdent un romantisme chevronné, fou, hors-norme et iconoclaste que j'ai trouvé irrésistible. Shu Qi y est sublimée et rayonnante comme jamais (alors que je la trouve souvent un peu trop froide d'habitude).
Il était évident que le rythme du film comme son style ne pouvait tenir de bout en bout cette frénésie permanente, c'est pourquoi Jiang Wen calme le jeu après la fin du premier acte dont la conclusion tragique appelait aussi à un changement d'approche. La suite est ainsi plus conventionnel mais possède toujours quelques séquences déjantés, étranges et décalés comme la punition qu'un général veut infliger à son fils et un escroc (la saillie d'un étalon ), la reconstitution filmée du drame principal ou un mariage qui vire à l'opéra et qui relance la folie initiale pour un dernier acte sous forme de poursuite en voiture assez drôle avec une chouette astuce pour continuer les dialogues sans perdre en vitesse et mouvement.
Alors bien-sûr, Gone with the bullets demeure inégal, tape à l'œil, surchargée avec des problèmes de rythme et des idées formidables pas toujours bien exploités (l'aspect mise en abîme où le personnage, condamné, doit rejouer un moment de sa vie devant la caméra avec le risque de voir sa réelle exécution se faire sous les mêmes caméra). Mais le film est aussi bien plus personnel que ce qu'on a bien pu en dire, tant dans sa description de la relation amoureuse, que sa déclaration d'amour aux artistes et affabulateurs tout en s'imposant comme une satire caustique de l'arrivisme et la superficialité des nouveaux riches chinois qui culmine dans le final avec le moulin pris d'assaut par des dizaines et dizaines de jeunes couples mariés.
Dans le même ordre, sa réalisation a toutes les raisons d'agacer un bon nombres de spectateurs. Pour ma part, j'ai été conquis par la générosité du cinéaste qui qui se livre à un étourdissant exercice de style, cherchant à fusionner le style hollywoodien ancien (glamour des années 30's ; les dialogues survoltées et omniprésent de Howard Hawks) avec la modernité d'un Scorsese ou d'un Luhrmann tout en s'inscrivant dans une identité chinoise très précise. Le film s'inspire d'ailleurs d'un célèbre fais divers qui défraya la chronique a l'époque et inspira à ce titre le premier long métrage chinois en 1921.