Complicité douce amère

Soudan, 2005. Des conflits armés opposent des groupes rebelles et le gouvernement, plongeant le pays dans un chaos. Par un enchaînement d'actes violents mus par un racisme latent dans la société soudanaise, ce qui aurait pu rester un incident bienheureux tourne au drame. Un drame qui va lier deux femmes, que tout oppose, symboles de la division Nord-Sud: Mona, matrone arabe du Nord, riche héritière et ancienne chanteuse, réduite au silence par son mari Akram et Julia, originaire du Sud, d'origine africaine, de confession catholique, mère seule élevant le petit Daniel.

Par le prisme de ces deux femmes, amies-ennemies dont les trajectoires de vie se recoupent et se retrouvent sur le sentiment de culpabilité, le mensonge mais aussi l'ambition et l'instinct maternel, le film montre la complexité des tensions qui écrasent la société soudanaise. Des tensions d'ordre de genre, d'ethnie, de religion, de classe sociale. Une sororité forte, puissante, joyeuse et amère à la fois. Le film marque par des moments de complicité et d'amitié forts - la scène de danse, les échanges lors du bain à vapeur, etc., qui se juxtaposent avec des actes de violence psychologique et systémique - la charge mentale, la relation toxique, la corruption, la misogynie.

Drame psychologique, le film tient en haleine, alors qu'il déroule la spirale de mensonges, bien que pavés des meilleures intentions. Les dialogues aiguisés font nous interroger sur les relations humaines, notamment les relations de couple. Il concentre dans les scènes du quotidien la crise socio-politique et le racisme endémique qui traversent le Soudan - marque sur la vaisselle destinée à Julia.

Le scénario, amplifié par des allusions et symboles forts même si un peu gros, nous prend aux tripes. Ainsi les oiseaux chanteurs, offerts par le mari de Mouna qui, en leur rendant leur liberté, les condamne. La chanson constitue un élément important du film, et les chants sont libérateurs. Dans un équilibre fragile entre espoir et cynisme, entre force de vie et force de mort, le film met à l'honneur la lutte des femmes contre le système - patriarcal, raciste, inégalitaire -, notamment la lutte par l'éducation, même si on en garde toujours un arrière-goût amer. Les choix qui prétendent être dictés par un sens moral et altruiste se révèlent destructeurs et contradictoires pour Daniel, la figure de l'enfant. D'autre part, les sacrifices paient rarement et se confrontent à la pesanteur du système.

Soudan, 2010. Le mouvement sécessionniste a obtenu une victoire écrasante au référendum. On veut espérer que la scène finale est ouverte, mais elle laisse présager la tentation de prendre les armes à défaut des cahiers d'école pour Daniel.