Tout n’est affaire que de glissements, dans ce long-métrage fascinant et contemplatif, mais toujours en mouvement, de Kiyé Simon Luang. Glissement des longues embarcations délicates sur le lac Nam Ngum, au nord du Laos, lac de barrage, vaste comme un lac helvète. Glissements qui ouvrent le film et se répètent, sur leur rythme à la fois paisible et obstiné, à chaque déplacement de personnage, et pour le plus grand bonheur du spectateur. Après quelques survols de la région empruntés à des images d’archives, témoignages d’une époque coloniale révolue, la photographie très douce et subtile d’Aaron Sievers excelle à capter la beauté de ces lieux où l’eau est omniprésente, créant une lumière si vibratile.
Sur ces rives où la terre n’existe que dans son rapport à l’eau, Kiyé Simon Luang, écrivain et réalisateur français originaire du Laos, scénarise la rencontre de différents destins, qu’il natte et entrecroise. Glissements de la vie, qui rapproche des êtres (Nini Vilivong, confondante de sensibilité et de naturel, dont le personnage est significativement prénommé France, et le beau pêcheur amoureux d’elle, incarné de façon très convaincante par Khamhou Phanludeth), les conduit à se frôler puis à s’éloigner (France et le puissant entrepreneur chinois qui la courtise, interprété avec finesse par un acteur laotien, Soulasath Saul), les amène à se retrouver, par-delà deux parcours qui ont pu, sur une période, profondément diverger (Hugo, à qui Marc Barbé, tout d’intensité et de détresse inavouée, prête ses traits, et Nadine, Nathalie Richard).
Glissement des époques historiques, le passé colonial de protectorat français ayant ouvert sur une indépendance, à présent malmenée par la mainmise, de plus en plus forte, de nature officiellement commerciale, du grand voisin nordique, la Chine. Une emprise qui, si elle investit le tourisme, risque non seulement de perturber la vie des habitants et de ne faire qu’une bouchée des petits commerces artisanaux ou familiaux, mais d’aller jusqu’à refaçonner totalement le paysage.
Sur ce cours inexorable des choses, Kiyé Simon Luang pose un regard nostalgique, dénué de toute virulence ou intention polémique, mais plutôt empreint d’une tendresse qui manque trop souvent, en France. Une très belle musique, sur instruments à cordes traditionnels faisant résonner une sonorité lointaine, porte par moments cette narration qui prend de plus en plus les allures d’une méditation.