Hiner Saalem nous avait enchantés, transportés, en 2014, avec « My Sweet Pepper Land », premier des films du réalisateur franco-kurde à franchir réellement le seuil de la notoriété, même s’il avait souvent reçu, auparavant déjà, un succès d’estime ; mais le mot sonne comme une consolation ; consolation de ne pas parvenir à toucher le plus grand nombre. On souhaiterait à nouveau que cette nouvelle œuvre, ample et généreuse, rencontre un vaste public, même si le charme qui se dégage d’elle est sans doute inférieur de quelques degrés au long-métrage qui s’organisait autour d’une héroïne, institutrice, incarnée par une Golshifteh Farahani en état de grâce. Car sans risquer d’être qualifié de féministe au sens étroit et rigoriste du terme, il apparaît toutefois que Hiner Saalem manifeste, ici également, une intéressante sensibilité à la cause des femmes. Enjeu qui, comme l’a fait remarquer aussi clairement que fermement Kamel Daoud (« Là où la femme est libre, les peuples sont libres. Là où la femme est maudite, les peuples sont sauvages », dans le film « Enquête au Paradis », 2018), n’est pas séparable de la liberté et du bonheur des hommes eux-mêmes. 

Inscrite dans un petit village du Kurdistan irakien, au sortir de la guerre contre Saddam Hussein et alors que perdure le conflit opposant les combattants kurdes à Daesh, l’intrigue s’ouvre, au son d’une séduisante musique rock composée par Pascal Lafa, en reprenant le topos d’un « Roméo et Juliette » revendiquant simultanément son ancrage oriental, avec de fascinants paysages brûlés de soleil, et sa modernité : au cœur de ce microcosme, la belle Ziné (Dilîn Döger) et le soldat Avdal (Galyar Nerway), non moins beau, s’aiment en cachette de leurs familles, qui semblent promises à se vouer une haine aussi infondée qu’inextinguible. Il faudra toute l’autorité d’un chef de guerre aimé et respecté pour parvenir à réintroduire un peu de souplesse et de vie dans ces liens humains ayant frôlé de près la rigidité cadavérique. Mais il n’était pas dit que la vie et le bonheur triompheraient si facilement : blessé lors d’une attaque, Avdal découvrira, après l’opération qu’il a dû subir, qu’il est devenu impuissant. Le scénario prend alors le virage d’une sorte de « Kadosh » inversé. Ce n’est plus, comme dans le film magnifique d’Amos Gitaï, sorti le 1er septembre 1999, le rôle conjugal de la femme qui se trouve remis en question, mais celui du mari… A quels renoncements, pour soi, peut-on consentir par amour pour l’autre ? Une vie amputée de toute progéniture est-elle acceptable ?…


Alors qu’un ton de comédie s’était souvent faufilé en première partie, avec des dialogues truculents, aussi finement écrits que joués, tant à l’intérieur des familles que dans l’opposition des familles entre elles, une gravité s’impose et gagne du terrain dans la seconde, la tristesse et le désespoir n’étant jamais loin, d’un côté comme de l’autre. Le jeu et la jouissance des corps amoureux, recueillis dans leur innocence et leur sensualité par la caméra très délicate de Robert Alazraki, cède la place à la pesanteur des corps et à l’emmurement de chacun dans sa solitude monadique. Une très belle scène, qui inspire d’ailleurs l’affiche française, autour d’un baiser échangé de part et d’autre d’une moustiquaire rigide, dit bien toute la nostalgie de corps réduits à un à-plat, ayant perdu le relief qui leur permettait de s’épouser…


Hiner Saalem signe une nouvelle fois un film terriblement attachant, non exempt de certaines longueurs ou complaisances, mais qui lui sont aisément pardonnées, car aussitôt rachetées par des scènes plus en tension ou en profondeur, et car sous-tendues par tellement de tendresse et pétillantes de tant d’inventivité !

AnneSchneider
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le 3 juil. 2022

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Anne Schneider

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