Du passé, des souvenirs et des séquelles subsistent toujours. Ce passé peut rester enfoui au plus profond de nous, toujours présent, mais rarement perceptible. Puis, parfois, sans crier gare, il resurgit, et il faut se confronter à lui. Une manœuvre nécessaire pour se tourner vers le futur, et espérer voguer vers de nouveaux horizons, grâce à Dieu.
C’est dans l’actualité que François Ozon est venu chercher le sujet de son nouveau film. Un sujet qui s’est présenté à lui lors de la visite du site « La Parole Libérée », créé par des victimes d’attouchements perpétrés par des prêtres dépendant du Diocèse de Lyon. Régulièrement, les informations en parlent, notamment à travers la personne du cardinal Barbarin, en charge du diocèse, et dont le procès est en attente. Dans Grâce à Dieu, François Ozon s’intéresse à la genèse de La Parole Libérée, au mal qui ronge les créateurs de l’association, et ce qui a mené à la dénonciation des méfaits qui incriminent aujourd’hui divers hommes d’église. Une trame qui n’est, bien sûr, pas sans rappeler celle de Spotlight, film multi-oscarisé voici quelques années, mais dont l’approche s’avèrera ici bien plus humaine et philosophique que celle de Tom McCarthy.
Grâce à Dieu met notamment en avant trois personnages, issus d’horizons divers, et avec des approches différentes de la problématique et de cette souffrance commune qu’ils partagent. Plutôt que de nous les présenter successivement en début de film et d’alterner leurs histoires respectives tout au long du film, François Ozon a préféré limiter les coupes pour opérer des transitions plus logiques, afin de morceler le moins possible le récit, et de lui donner une trame globale plus harmonieuse et perceptible. Les premiers plans, très beaux, avec cette vue panoramique de Lyon, depuis les hauteurs de la Basilique Notre Dame de Fourvière, annoncent la couleur : l’Eglise est une entité qui surplombe le monde, au-dessus de ce dernier et de ses lois. Et c’est ainsi qu’elle sera présentée, comme une puissante institution, ancrée dans les mœurs, et influente politiquement. A partir de ce point de départ, Grâce à Dieu propose des discours multiples, s’intéressant à l’Eglise en tant qu’institution, à la compréhension de la souffrance d’autrui, et à l’accord du pardon.
Chacun des trois personnages principaux a souffert, souvent en silence, pendant de longues années. Un silence dû à la peur. Une peur causée par le rapport de force inégal entre l’Eglise et l’individu, mais aussi la peur du jugement. C’est un fardeau que doivent porter ces trois hommes, qui ont dû faire face à l’incompréhension, les empêchant de pouvoir panser leurs plaies. L’Eglise entend les témoignages d’Alexandre sans les écouter, les parents de François minimisent son traumatisme et la gravité des sévices subis, et ceux d’Emmanuel les ont sous-estimés. Toute la difficulté des trois hommes, au-delà de faire entendre leur voix, est de faire accepter la légitimité de leur souffrance, cette incapacité à évacuer ce mal malgré les années, tant que leur entourage n’aura pas réellement compris ce qu’il en advient. Et Grâce à Dieu s’intéresse, en grande partie, à ce dialogue rompu, à la nécessité pour ceux qui ne l’ont pas vécu, de parvenir à être conscients de cette souffrance pour l’éradiquer.
Un processus qui s’accompagne de la capacité à pardonner. Un point crucial ici traité de manière très judicieuse par François Ozon, qui ne dépeint pas le père Preynat comme un prédateur sexuel, mais comme un homme malade, aux penchants problématiques. C’est un adulte, mais il n’est à son aise qu'au milieu des enfants, auprès d’eux, trop près d’eux. Pour lui, ses actes ne sont pas problématiques, il ne pensait pas à mal. Le traitement du personnage du père Preynat est très intéressant, celui-ci ayant une étiquette de prédateur sexuel, incitant le mépris voire la haine, mais étant d’une grande fragilité, inspirant presque la pitié, dressant un portrait qui n’est pas sans rappeler celui du protagoniste de M le Maudit. Cette indécision qui affecte le spectateur dans la manière dont il faut juger le père Preynat permet de mettre en perspective toute la complexité de l’accord du pardon, nécessaire pour trouver la paix, mais qui signe la fin du combat et, potentiellement, un danger pour la cause de La Parole Libérée.
Grâce à Dieu est un film exhaustif sans être lourd, ni source d’égarement pour le spectateur. Le film de François Ozon explore toute la complexité de l’accord du pardon, de la compréhension de la souffrance d’autrui, traitant de l’actualité mais pouvant s’appliquer à bien d’autres situations. Car le contexte dans lequel il se déroule, avec ses problématiques institutionnelles et religieuses, ne l’empêchent pas d’avoir une portée plus large. N’oublions pas non plus la très bonne prestation des acteurs, tous au rendez-vous, rendant hommage à toute la souffrance de ces hommes et de leur entourage, et du combat qu’ils mènent depuis des années. Un film riche, parlant et pertinent.