[Vu dans le cadre de la Berlinale 2019]
Un film que je ne serais probablement jamais allé voir en salles en temps normal, tant François Ozon me déçoit depuis plusieurs années maintenant à chacun de ses films, avec comme dernier souvenir en date "L'Amant double"(2017) qui s'égarait totalement dans des délires psychanalytiques complètement abscons et pompeux de mon point de vue. Cependant, dans ce cas précis, plus de la majorité des critiques cinéma semblent d'ores et déjà s'accorder à dire qu'avec "Grâce à Dieu", le réalisateur français innove et signe là sa meilleure oeuvre.
Or effectivement, il s'agissait probablement ici d'un sujet extrêmement polémique et par conséquent tout aussi difficile à traiter mais force est de constater que le résultat s'avère tout aussi poignant que convaincant. Par sa volonté de briser le silence et de mettre en lumière l'absence de réactivité de la part de l'église en ce qui concerne l'affaire Barbarin et les scandales pédophiles qu'elle s'est employé à dissimuler durant plusieurs années, Ozon parvient ainsi avec brio à nous livrer avant tout le portrait et les témoignages bouleversants de ces hommes atteints aussi bien dans leur chair que dans leur âme. C'est d'ailleurs là quelque chose que François Ozon avait indiqué dans une interview accordée à l'AFP afin de défendre son film dont la sortie en France est maintenant menacée d'être reporté suite à une assignation en justice déposé par l'un des avocats du père Preynat estimant que le film porte atteinte à la présomption d'innocence de son client : "Mon film ne se place pas sur un aspect judiciaire, il se place sur l'aspect humain et sur la souffrance des victimes".
Or force est de saluer en ce sens le film et la mise en scène qui se focalise avant tout sur le poids des souvenirs afin de montrer que l'épreuve consistant à faire remonter ceux-ci à la surface par le biais de la parole (à la manière de la psychanalyse quelque part) s'avère extrêmement difficile à surmonter pour les victimes. Les jeunes garçons, devenus aujourd'hui des hommes mariés et des pères de familles bénéficiant pour la plupart d'une situation stable, apparaissent en effet atteints dans leur masculinité et comme paralysés par la peur de bénéficier par la suite de ce statut de victime de pédophile. La mise en scène alternant ainsi les récits et les points de vue de trois personnages aux personnalités très différentes incarnés respectivement et successivement par les acteurs français Melvil Poupaud, Denis Ménochet (certainement le personnage le plus symboliquement atteint dans sa masculinité ici), et le talentueux Swann Arlaud que j'avais eu notamment l'occasion de découvrir lors de la Cinexperience consacré au film "Baden Baden"(2016). Or le fait justement d'alterner ainsi les points de vues des différentes victimes et de nous amener à considérer différents types de souffrances s'avère extrêmement pertinent ici. En effet, un film qui aurait été entièrement centré sur le combat mené par Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) nous aurait inévitablement enfermé dans ce milieu bourgeois extrêmement "catho tradi" dans lequel on est plongé au début du film (et très franchement c'est vraiment ce que je redoutais après les premières minutes) mais au final cette manière intelligente de découper la narration pour mieux mettre en lumière le cheminement émotionnel des personnages qui les amène à se rencontrer et à s'unir dans un même but s'avère plus que pertinente.
Vient ensuite le parti pris très engagé et même activiste du film où la mise en scène prend alors des allures de documentaire fictif, rythmée par le biais de la musique mais surtout par le biais des différents mails que s'échangent tout au long du film les personnages. En ce sens "Grâce à Dieu" m'a ainsi fait penser à l'excellent "120 battements par minute"(2017) de Robin Campillo et notamment en ce qui concerne l'excellent travail sur la photographie que les deux films, quoique bien évidemment très différents dans leur propos et leur structure narrative même s'il s'agissait dans les deux cas de mettre en avant le rôle primordial d'une association, nous proposaient.
Un film très engagé donc mais également très bien construit, qui marque sans aucun doute le grand retour de François Ozon, dont le propos ne consiste pas à s'attaquer à l'église en tant qu'institution mais bien au silence qu'elle s'est employée à maintenir pendant des années. Le réalisateur français ne délaisse cependant à aucun moment l'aspect esthétique de la mise en scène et parvient en définitif avec brio à mettre en lumière la souffrance des victimes de cette affaire et à ainsi briser le silence.