Le film est un véritable uppercut. Il tombe à point nommé, alors que dans quelques jours un jugement sera rendu concernant l’implication du Cardinal Barbarin dans la couverture des crimes du père Preynat. J’ignore si ce long métrage aura un effet cathartique sur le procès ou sur l'Eglise, trop longtemps restée silencieuse vis à vis de la pédophilie dans ses rangs, mais force est de constater que depuis quelques années les choses bougent petit à petit. Ce film a donc une chance d'apporter sa pierre à l'édifice dans la libération de la parole et la rémission des pêchsé, deux notions au coeur des enseignements catholiques. On blâmera toujours la lenteur des institutions religieuses ; l’inertie est une tradition de l’Eglise et le silence son sacerdoce.
Mais ce qui est sûr c’est que ce film est salutaire, que l’on soit victime ou non d’abus sexuels, que l’on soit ou non catholique. Il n’évite aucun tabou. Il entre dans le dur dès les premières minutes. Il se réfugie dans la fiction pour des raisons surtout juridiques mais la fiction est ici ténue, minime. Tout est vrai et ça se sent. Tout des lieux, des personnages et des témoignages est réel, au point d'en être terrifiant. Comment imaginer que dans les alcôves des sacristies, lieux sacrés et bénis, ou que près de l’âtre chaleureux d’un feu de camp scout, la pédophilie rôde, mortifère, avilissante ?
Avilissante d’abord pour les victimes, salies, détruites, avilissante pour les familles aussi qui en subissent les conséquences, avilissante pour les fidèles et l’Eglise, jetés en pâture, dont on a piétiné la foi, avilissante enfin pour tous les prêtres et religieux innocents et désormais couverts d’opprobre et soumis à la suspicion. L'Eglise déjà moribonde s'est enfoncée seule. Je doute qu'après de tels faits, les chapelles se remplissent à nouveau. Tout le monde connaît pourtant ces histoires de pédophilie et le comportement interlope de certains prêtres et religieux. Mais il aura fallu des années pour que la vérité soit si éclatante et évidente, enfin. Le problème de l'Eglise n'est pas un problème de fond : les valeurs de pardon, de modestie, d'humilité, sont belles. Le christianisme est la religion des humbles et des opprimés. Mais il sait aussi pardonner aux oppresseurs. Comment dès lors comprendre et accepter que les institutions ecclésiastiques et le clergé ne respectent pas ces préceptes élémentaires ? Le problème de l'Eglise ce n'est pas sa parole, ni son message, c'est elle-même.
Comme Ozon colle au plus près de la réalité il est juste et nuancé. Son film n’est pas anti-catholique ou insultant envers l’Eglise. Il remet les choses à leur place. Il évite aussi la caricature, aussi bien chez les victimes que les accusés. On ne voit pas que des catho bourges et coincés mais des adultes ordinaires aux destins différents mais unis par l’horreur. Ozon rappelle que le catholicisme n’est pas hors du monde, ou marginal en France. Il concerne des millions de Français et des millions d’enfants qui ont pu en fréquenter les institutions. Il montre aussi des accusés aussi humains que monstrueux, Preynat, terrifiant mais conscient de sa monstruosité, Barbarin, rongé par les remords mais incapable d'agir, capable de sortir des phrases d'un détachement épouvantable comme de s'en remettre avec humilité à Dieu. Le réalisateur ne juge pas, il montre. Il aurait d’ailleurs eu tort de faire l’inverse. Certains auraient sans doute aimé qu’il enfonce un peu plus le catholicisme. Mais le catholicisme est déjà bien abîmé par lui même, par son impéritie et sa décadence.
Le film aurait du être un documentaire. Il arrange ou réorganise un peu la réalité pour en révéler davantage la force. Il en résulte un ton naturaliste, une mise en scène aussi minimaliste que terriblement sobre et certains le lui ont reproché. Ozon colle au réel. Le fond seul prime. Les acteurs eux mêmes jouent des gens normaux dans des vies normales, sans exubérance, dans un style blanc, seule l’ombre de la pédophilie plane. Des contrastes noirs et blancs, des ombres et des lumières. Si bien que le film est troublant, gênant, d'un réalisme si cru qu'il est effroyable. Parfois le film se permet quelques flashbacks glaçants dans le « labo photo » de la paroisse ou le camp scout. La musique quelques fois fait irruption pour faire poindre l’émotion mais il n’y a pas besoin de cela pour ressentir de l’empathie pour les personnages. Même le père Preynat inspire la pitié. Leur destin sidère et glace. A certains instants leur colère éclate. A d’autres la veulerie de l’Eglise révolte ou le comportement du père Preynat scandalise. Le film est d’une dureté absolue. Il montre le crime qui s’immisce dans la banalité de vies ordinaires, la banalité du mal.
S’il s’attarde sur le portait de quelques hommes, il n’oublie pas les autres victimes. Au travers de l’association dont il retrace les prémisses, en documentaliste, Ozon, montre l’ampleur du désastre. Il ne le résume pas d’ailleurs au père Preynat mais en fait un exemple. Une des femmes d’une victime avoue que si elle se bat c’est parce qu’elle fut elle aussi abusée par un religieux mort il y a plusieurs années.
Un fils demande à son père, agressé par le père Preynat s'il croit encore en Dieu. Le père est incapable de répondre. La pédophilie, cet acte contraire à tout et surtout au message biblique, finit par salir les hommes, l'institution jusqu'à Dieu lui-même. L'horreur vous dégoûte de tout, même du divin. Les victimes ont des réactions différentes, parfois elles se disputent, parfois même leurs familles ne les comprennent pas, destins humains ordinaires, troublés, déchirés par des faits terribles.
Grâce à Dieu fait référence à une phrase du Cardinal Barbarin qui a affirmé devant la presse et la justice que "grâce à Dieu les faits sont prescrits", avant de s'excuser pour son erreur, montrant sa volonté de ne pas remuer de vieilles plaies, de s'accrocher à son poste et de couvrir les crimes et abus de certains de ses disciples. Le silence coupable de l'Eglise qu'Ozon brise. Mais s'il y a bien un thème, particulièrement chrétien, que le film aborde, c'est celui de la rémission ou du pardon : comment pardonner le pire, comment se reconstruire ?
Film documentaire, film coup de poing, Grace à Dieu est plus un récit qu'un film, une sorte d'essai sur la pédophilie dans l'église. Bavard, verbeux, démonstratif, il montre, explique, témoigne sur cette terrible réalité. Il s'agit presque d'une oeuvre d'utilité publique plutôt que d'une véritable oeuvre de fiction. Il éduque, il instruit, de manière brillante, édifiante, implacable. Puisse-t-il conduire à apaiser les souffrances des protagonistes.
Moi qui ait dans ma vie pas mal fréquenté les établissements cathos, les alcôves d'églises, les chapelles nimbées de myrrhe et d'encens, ce film m'a particulièrement marqué, me rappelant à la fois le pathétique de l'Eglise, la grandeur de sa mission, la beauté de ses valeurs (le pardon, l'humilité, la rémission) et l'impossibilité pour elle de parvenir à ses fins, entièrement tournée vers Dieu mais parfois entâchée par la vulnérabilité et la médiocrité des hommes dont le père Preynat n'est hélas qu'un exemple parmi d'autres.