Un film doux comme un coup de trique

Par Jean-Philippe Tessé

Le film a tout juste commencé que la caméra va chercher au fond de l'église le costard dépareillé d'un grand vieux maigre droit comme un i, au rictus aigre, jetant sur sa propre famille un regard-crachat. De lui, on ne perçoit d'abord que grognements sonores, raclements de gorge, toux souffreteuse. Le vieux grommelle, maugrée, maudit. Aujourd'hui, c'est maman qu'on enterre, elle trône devant le cercueil dans son cadre doré, avec sa choucroute, sa bouille bien douce, son sourire gentil. Il est évident dès les premières minutes de Gran torino que c'est bien le veuf, Clint Eastwood, qui finira le film dans la boîte.

Gran torino remet sur le tapis la guérilla urbaine, les souvenirs de bidasse, la justice illégale, et surtout pose d'emblée une distance sidérante avec l'homme Eastwood, déployé à travers tous ses costumes (acteur, cinéaste, corps, légende, personnage, etc.), et tous ses âges (Harry Callahan, le cowboy poncho, le cowboy space, le mélancolique crépusculaire des années 90, le vieux sage incandescent d'aujourd'hui). D'abord parce qu'Eastwood incarne cette vieille ganache de Walt Kowalski, vétéran de la guerre de Corée qui n'aime que son chien et mâchouille sa haine en regardant de biais ses voisins asiatiques, tout en sirotant des bières devant sa pelouse tondue à ras. Son odyssée dans le récit - le grincheux se radoucit, se prend d'amitié pour Thao, son voisin Hmong, et le défend contre un gang du quartier - le fait passer par un faisceau d'états contradictoires, comme si sa chimie était en constante recomposition : vieux con raciste, réac et haineux, grand comique qui s'ignore (les scènes hilarantes de ping-pong d'insultes racistes avec son buddy rital coiffeur, qui se trouve être incarné - vent de terreur - par le tueur présumé du Zodiac de Fincher), spectre au pas lourd, aux yeux perçant, mort en sursis qui lors d'une séquence prodigieuse, mi-grotesque mi-horrifique, plonge le film dans un fantastique d'outre-tombe : Kowalski va défier une bande de caïds sur un trottoir et, d'un geste sidérant, dégaine sa pogne fripée, mime un revolver pour assassiner un à un, lentement, les gangstas pétrifiés d'effroi et de surprise. Le temps est suspendu, l'image aberrante, la scène shyamalanienne : figé, le corps indécidable, pépé-gachette ou fantôme de Callahan, remet à plus tard la question de sa vérité. A cet instant, il ne balance qu'entre présence tellurique de colosse et apparition surnaturelle de statut du commandeur. (...)

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Chro
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le 10 avr. 2014

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