Ma vie avec Clint
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le 14 oct. 2016
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Gran Torino, l'un des meilleurs films du grand maître Clint Eastwood.
Dans Détroit, ville en faillite et capitale de l'automobile Américaine, vit Walt Kowalski. Vétéran de la Guerre de Corée, vieux grincheux, mal-aimé de ses enfants et petits-enfants, grand dur au langage cru, propriétaire d'une Ford Gran Torino 1972, et surtout raciste.
Je m'attendais à voir un chef-d'oeuvre étant donné que ma famille (que j'aime beaucoup pour ceux qui demanderait) m'a encensé ce film. Et le fait est que j'ai regardé le chef-d'oeuvre attendu. Il fut aussi réussi que ce à quoi je m'attendais. Depuis que j'ai vu Sur la route de Madison, Clint Eastwood réalisateur est devenu une religion pour moi que je dois suivre en ma qualité de cinéphile. Et lui qui est l'un des plus grands acteurs de tous les temps et qui joue dans un de mes films favoris (Le Bon, la Brute et le Truand), inutile de dire que j'ai vu de quoi comparer et que j'ai vu de quoi encenser.
La première chose qui mérite d'être parlé et qui est au cœur de la réussite du film. C'est bien entendu les acteurs et l'évolution de leurs personnages. Clint Eastwood qui incarne Walt Kowalski est de loin le premier intérêt du film. Non seulement il arrive à merveilleusement interpréter son personnage avec justesse, mais il arrive également à gérer son évolution palpable tout en maintenant la lourde charge de réalisateur (il faut juger soi-même son jeu d'acteur dans ce cas-là).
Et comme je l'ai dit, son évolution est palpable:
Il commence le film en étant aigri, grincheux, râleur et détestable. Et sa famille le lui rend bien, puisque eux aussi arrive à être détestable (un tel manque de respect aux funérailles de sa mère ou grand-mère mérite une fessée où je m'y connais pas). Et surtout, il est un gros raciste endurcis. Et sa bête noire sont les Asiatiques, tous, il les place dans le même panier: les chintoks. Pareil pour les négros, les métèques, les Irlandais et les ritals (un peu moins pour les ritals). Mais pour lui les Asiatiques sont les pires, il les a combattus durant la Guerre de Corée, et les horreurs l'ont rendu intolérant en bon vétéran Américain qu'il est.
On peut dire que le film commence avec le projet de rendre touchant le personnage qui d'ordinaire tous le monde déteste. Le cliché du vieux grincheux qui n'a rien d'autre à faire que de regarder derrière la fenêtre le voisinage et que la famille ingrate tente de placer en maison de retraite. Le genre de personnage relégué souvent au second plan. Mais par quoi ce soi-disant cliché est passé ?
Et la maîtrise de Clint Eastwood est bien là, étant donné que le personnage de Walt Kowalski est certes détestable, mais son passé compréhensible et son récent deuil le rend petit à petit et en peu de temps, attachant.
Et son racisme, qui est le point central de la moitié du film est retranscrit de manière que l'on pourrait penser de cliché mais interprété avec tellement de naturel et de haine que l'on y croit.
On a affaire à un Américain pur-jus. Mais détestable et pourtant, nous aimons Walt Kowalski, car avec sa famille, sans compter qu'il est entouré de tout ce qu'il déteste, sa vie n'est pas heureuse. Même lui est victime de racisme, par la vieille dame Hmong voisine, mais aussi des jeunes délinquants où il est pointé du doigt comme un vieil homme fou. Alors que lui, tout ce qu'il souhaite, c'est seulement qu'on le laisse tranquille en train de regarder la rue et surtout sa Ford Gran Torino bien nettoyée.
Et petit à petit, son caractère intolérant lui vaut d'aider ses voisins qu'il refusait de côtoyer et va faire leur connaissance de manière fortuite. Et c'est bel et bien leur gentillesse qui va les réunir. Même si son fort caractère l'empêche de prendre bien les bonnes reconnaissances et les cadeaux qu'ils lui donnent. Il n'est pas aveugle et accepte quand même cette main tendue reconnaissante là où sa famille ne voit en lui que de l'intérêt.
Et malgré l'idée reçu qu'il se faisait d'eux, petit à petit, il va se rendre compte de ses erreurs et va les accepter et devenir ami avec eux. Même très proches amis. Et il va d'abord se rendre compte que les Hmongs ont non seulement partagés ces idées durant la Guerre de Corée, mais on aussi été retrouvés en Amérique parce qu'ils ont été chassés par les ennemis qu'il combattait. Ce qui commença en une sympathie envers eux, puis après le premier contact, il va les côtoyer et devenir fan de leur cuisine en premier lieu. C'est vrai que le chemin le plus court pour atteindre le cœur d'un homme passe par l'estomac mais la sympathie qu'il construit avec eux est vraiment touchante. Et la différence qu'il leur trouvait disparut complètement, au point que même lui leur prépare le barbecue. Puis la relation qu'il construit avec le jeune Thao, comme la relation qu'il n'a pas eu avec ses fils.
Et c'est là que Thao, le second personnage principal gagne en intérêt et en évolution. Lui comme Kowalski vont apprendre l'un de l'autre et tisser une relation père/fils.
Thao, jeune Hmong introverti, timide et travailleur. Mais un peu différent dans sa culture là où il fait des choses basiques mais considérés comme des tâches de femmes. Là où sa grande sœur est très autoritaire et amicale. D'abord très renfermé sur lui-même, il fait les mauvaises fréquentations et va tisser des liens avec Walt qui va le sortir de ses défauts tout comme lui va le guérir de son intolérance.
Et Thao apprendra de son mentor jusqu'à devenir très ouvert et deviendra le fils que Walt n'a pas eu et Thao le père qu'il n'a pas eu.
Mais les autres personnages ne sont pas en reste.
Su, la soeur de Thao marque le premier pas pour franchir la frontière de la langue et entamer l'amitié de Walt Kowalski avec la famille Hmong. C'est surtout avec elle que Walt interagit au début. Mais elle se fait très présente pour laisser la place à Thao là où elle est au départ le premier pas pour Walt de communiquer avec les Hmongs. Pour devenir plus tard l'une des principales raisons qui vont provoquer sa haine la plus grande.
La famille de Kovalski est très irrespectueuse envers-lui. Il est vétéran, il s'est battu pour son pays et sa famille l'ignore, sauf pour avoir quelque chose en retour, notamment sur l'héritage. Walt a beau paraître aigri, il est surtout seul, sa famille étant pire que lui sur certains côtés. On prend Walt immédiatement en sympathie devant cette solitude là où il trouve une véritable famille avec les Hmongs.
Et il y a le prêtre. Qui revient plusieurs fois pour tenter de l'aider à se libérer de sa peine. Et le prêtre est vraiment un personnage humain qui pense et agit pour le bien de tous. N'hésitant pas à affronter Walt pour l'aider dans sa tristesse avec ses conseils.
Mais là où Eastwood bluff avec sa mise-en-scène, c'est là où sa réalisation se remarque dans le fait que ce sont ses codes et ses symbolismes qui porte l'histoire. Et non pas une simple histoire raconté avec ses codes.
Walt Kowalski triste vétéran de la Guerre de Corée se lie d'amitié avec des Asiatiques qu'il croyait avoir combattus pour se lier d'amitié avec eux et s'occupe du jeune Thao, représentant la plus grande tristesse qu'il a eu en tuant des jeunes Asiatiques de son âge. Il l'élève comme le fils qu'il n'a pas su élever. D'ailleurs, ses fils dont il se sent coupable de ne pas avoir eu de vrai relations avec eux est l'une de ses plus grandes fautes dont il se confesse. Thao est donc la rédemption de ses fautes.
Et la mise-en-scène de Clint Eastwood est également empreint de symbolisme visuel avec le jeu de lumière pendant le dialogue entre Walt et le prêtre. Où chacun est tiraillé entre la colère et la part de lumière en eux. Le prêtre est lui aussi en colère et lui aussi est donc montré à l'ombre, mais plus dans la lumière que Walt qui a moins de scrupules à vouloir se venger.
Et la confession est aussi un symbolisme visuel.
Walt ne se confesse pas de sa probable faute de son traumatisme de la guerre. Mais il confesse sa faute et sa peine à Thao à travers une grille similaire à celle du confessionnal de l'église, sa rédemption est d'autant plus forte devant Thao qui est symboliquement concerné dans le chemin de Walt.
Et la Gran Torino qui donne son nom au film est également une symbolique importante dans le film. Elle est la cause, l'enjeu symbolique et la récompense de tout ce qui se passe d'important dans le film. Alors qu'on ne voit pas une fois Walt la conduire. Il ne fait que la nettoyer et la contempler.
Walt a donné naissance à sa Gran Torino en lui installant une pièce primordiale. Il en prend grands soin pour ne rien en faire.
Sa famille la souhaite et la lui réclame.
Là où Thao tente de la voler, provoquant sa rencontre avec Walt, ainsi que le lien qu'il tissera avec lui pour réparer sa tentative de vol.
Thao est chargé de la nettoyer, Thao caressant le lien avec Walt.
Walt voudra l'offrir à Thao, qu'il l'utilisera pour ses adieux.
Et Walt la lui offre après sa mort.
Gran Torino est est empli de symbolisme cher à Clint Eastwood: l'Héritage de la figure parental, la nostalgie d'un passé, l'évolution de ses personnages, le "cycle" de violence qu'ils subissent...
Ainsi qu'une certaine mise-en-abyme.
Clint Eastwood souhaitait que ce soit son dernier rôle et il se met en scène en train de mourir.
Gran Torino est probablement un de ses films les plus personnels. Comment ne pas aimer un Eastwood aussi profond ?
Mais Clint n'est pas qu'un metteur en scène de symbolisme et de profondeur caractérielle. Il montre aussi dans Gran Torino qu'il est capable de prendre du recul avec un humour léger qui n'influe pas sur le cours du film, en tout cas, pas sur la symbolisme de ce qu'il présente. On ne peut que sourire devant l'allocution erronée de certains noms ou les répliques racistes basés sur des clichés essoufflés.
Gran Torino est un drame sombre, très noire. La violence est filmée de manière à choquer, le lieu de Détroit est bien trouvé pour expliquer l'arrivée des Hmongs en réfugiés. Le film est moderne et Clint Eastwood est vraiment percutant dans ce film.
Gran Torino est un film que je vous conseille vivement.
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Créée
le 30 nov. 2015
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