"Avant la mort nul ne mérite le nom d'heureux" (vous allez rire)

S’il n’est pas de ces films dont la bande annonce vous laisse une envie inconditionnelle de vous rendre au cinéma, une fois installé dans la salle, Grand Froid se révèle surprenant en bien des points. Il rassemble de fait un certain nombre d’éléments qui en font une oeuvre unique, intelligente et remarquable.


Tout d’abord, une réalisation avec un vrai style. Gérard Pautonnier est issu du milieu de la publicité, et mise en scène et images s’en ressentent. Pas un plan n’est gratuit, tous sont pensés puis construits suivant le développement du film. Pautonnier commence par mettre en place ce qu’on peut sans mal qualifier comme un western urbain. Une ville, vide, dans laquelle les camions ne s’arrêtent jamais. Deux points d’intérêts : le bar, et les pompes funèbres. Entre, une simple rue, mais un espace qui semble s’étirer à l’infini. Lorsque les personnages s’observent, se font face depuis les lieux cités précédemment, tout peut arriver tant un monde les sépare. D’ailleurs , c’est justement quand Georges s’accorde une pause au bar que l’action démarre… sans lui, donc.
Dès que les personnages quittent la ville - tout le propos du film étant le transport d’un cercueil dans une bourgade éloignée - et atteignent la nature, Pautonnier s’empare de l’espace et du vide. Il les utilise réellement dans son image, sans se contenter d’y faire se dérouler son action. Le film est ainsi truffé de plans magnifiques, à l’image de celui d’une voiture à demi enfoncée dans un lac de glace au milieu de nulle part.


En filigrane, la mort, toujours la mort et encore la mort. Omniprésente ici, ne serait-ce qu’à l’arrière du corbillard conduit par Bacri et Dupont. Elle est de toutes les conversations, de tous les sous-entendus ; même dans des scènes ubuesques comme celle où Bacri parle de son caveau comme la maison qu’il a toujours voulu construire (oui).
Et finalement, c’est là tout le génie du film : la mort, si elle est une fin en soi, n’est pas grave. Elle est constamment théorisée, remise en question par des personnages qui n’y font même plus attention, puisqu’elle est leur gagne-pain… sans elle, Edmond Zweck « ne pourra pas payer [Georges et Eddy] ce mois-ci ». La mort est impitoyablement - mais joyeusement - montrée dans sa dimension la plus absurde : après tout, qu’est-ce que la mort sinon l’absence de vie ? Une absence de vie est-elle pire que la vie elle-même ?
Bacri tuera même un mort. Lourd de sens.


Enfin, si Grand Froid fonctionne, c’est bien parce que l’on croirait les acteurs - tous, jusqu’aux seconds rôles - taillés sur mesure pour leurs rôles. Jean-Pierre Bacri incarne un personnage à la limite du nihilisme qui lui va à ravir, Olivier Gourmet - le Bacri belge ? - n’est pas en reste bien que moins présent à l’écran. De même, le réalisateur utilise Arthur Dupont totalement à contre-emploi (du moins par rapport à son premier premier rôle, Kerviel) ; ce dernier s’en sort plus que bien, parvenant sans problème à tenir tête au monstre sacré assis à sa droite sur le siège passager (Bacri).


Grand Froid, une preuve de plus que le cinéma français peut toujours étonner quand il se fait audacieux… et indépendant [produit par Elzévir Films, la boîte même qui nous avait offert Party Girl, Caméra d’Or à Cannes en 2014].


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le 20 juin 2017

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Augustin

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