En tant que comédie dramatique, "Calle Mayor" déçoit un peu. Le petit jeu auquel s'adonne une bande de jeunes espagnols, faire croire à une solterona ("vieille fille", en l'occurrence une femme de 35 ans pas encore mariée) que le plus beau et le plus jeune d'entre eux serait amoureux d'elle, dure un peu trop longtemps. Il dure un peu trop longtemps dans le film, de manière parfaitement volontaire (c'est même l'un des principaux ressorts narratifs, sur le thème "les meilleures blagues sont les plus courtes"), et s'assortit d'un sentiment de culpabilité naissant chez le menteur et principal concerné par la farce en question. Mais il dure aussi trop longtemps à l'extérieur du récit, pour nous, spectateur, car les manigances de la troupe masculine ont tendance à s'éterniser et n'apportent rien de nouveau à partir d'un certain moment. Le protagoniste en proie à divers sentiments successifs, relatifs à la culpabilité qui le ronge, peine à convaincre pleinement dans le glissement entre les deux groupes, délire avec ses amis et compassion pour cette femme seule. Une femme (Betsy Blair, censée interpréter une femme moche : c'est un peu raté) qui, ayant enfin trouvé le grand amour, passera un long moment à bien nous montrer son épanouissement. On s'ennuie un peu.


Heureusement, en toile de fond, il y a bien sûr l'Espagne franquiste (1956) capturée dans une fable néo-réaliste, avec ses processions religieuses et tous ses sons de cloches, et cette place centrale, la calle mayor, qui pourrait représenter le point névralgique de n'importe qu'elle ville espagnole moyenne de l'époque. L'introduction nous répète cela avec une certaine insistance, vraisemblablement imposée par la dictature pour que personne ne se sente visé : Juan Antonio Bardem était un communiste, et étant donnée la compatibilité relativement pauvre de ses idées avec le franquisme d'alors, il passera quelques jours en prison en plein tournage.


Au-delà de la peinture de son époque, "Calle Mayor" conserve un certain intérêt dans le portrait d'une jeunesse désœuvrée plutôt atemporel qui reste encore aujourd'hui valable. L'origine de la dégradation des relations sociales, nous dit Bardem à travers un des personnages, est intimement liée à l'ennui des jeunes. Ils s'emmerdent donc ils foutent le bordel sur la place publique : c'est de la logique pure. Sous Franco, la chape de plomb était facilement identifiable, entre les aliénations multiples liées au pouvoir politique et religieux. Tout le monde le savait, mais beaucoup, hypocritement, s'en foutaient.


[AB #184]

Morrinson
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Mon cinéma espagnol, Top films 1956, Avis bruts ébruités et Cinéphilie obsessionnelle — 2017

Créée

le 6 janv. 2017

Critique lue 458 fois

2 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 458 fois

2

D'autres avis sur Grand-rue

Grand-rue
Cinephile-doux
7

Chronique de la bêtise ordinaire

Dans une petite ville, pour combattre l'ennui, un groupe de désœuvrés monte des farces cyniques. Ainsi Juan fait-il croire à Isabel, une vieille fille de 35 ans, qu'il en est follement amoureux. Si...

le 9 sept. 2019

1 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

139 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11