L'espace immense, la vie humaine minuscule. Dans Gravity, on assiste à la dérive d'une scientifique dans le vide intersidéral après un accident lors d'une manoeuvre. L'histoire du nouveau film d'Alfonso Cuaron se tient à ce simple postulat : la survie d'un personnage dans le milieu le plus hostile et le plus fascinant qui soit. Une simplicité qui fait toute la force du scénario de Gravity. Contrairement à une idée reçue la qualité d'un scénario ne se mesure pas au nombre de ses pages ni à la quantité de thèmes philosophiques abordés. Un peu à la manière du Duel de Spielberg, Gravity est un scénario très simple mais aux mécanismes parfaitement en place, chaque événement viendra s'agréger aux autres dans un grand mouvement fluide et continu, c'est une partition, pas un discours. Américain dans l'esprit et dans la conception Gravity ne s'inscrit pourtant dans aucun moule pré-mâché. Pas de méchant à punir, pas d'histoire d'amour à la con (alors que le casting comporte le beau George Clooney et la vétérane du genre Sandra Bullock), pas de préambule avant la préparation de l'expédition, pas de punch-lines, strictement aucun plan sur la salle de contrôle ou les proches restés sur Terre. Non, rien ne nous sortira du concept limpide, et pourtant étouffant, de départ. Parfois on se croirait dans la dernière partie de Jaws avec l'espace infini qui remplace l'océan sans fin. La même tension permanente, le même isolement angoissant, le même danger diffus et pourtant incroyablement palpable.
Alors oui, Gravity n'a rien à voir avec 2001, L'Odyssée de l'espace, bien qu'une métaphore filée sur la naissance et ses connexions avec la mort traverse le film, on reste ici dans du suspense, du spectacle. Revenant à une forme presque primaire de Cinéma, Gravity est un pur film de sensation et donc un pur film de mise en scène. Cuaron n'a rien à nous raconter mais il a quelque chose à nous montrer et, surtout, à nous faire ressentir. En ouvrant son film dans un gigantesque plan séquence servant à la fois à planter le décor (infini, magnifique, silencieux), à caractériser ses personnages et à nous coller au fond du siège, il ne fait pas qu'une prouesse technique, il nous embarque sans transition dans son histoire. De la fascination pour la beauté de la nature à la peur panique de ne pas survivre, chaque choix du réalisateur épouse parfaitement l'intention de la séquence. Le travail sur l'image est fabuleux, avec des plans magnifiques et une lumière splendide. Le travail sur le son est incroyable, jouant sans cesse entre l'absence de son de l'espace et le besoin presque maladif des personnages de combler ce silence.
La mise en scène, c'est la maîtrise du temps et de l'espace et Alfonso Cuaron donne une leçon magistrale au tout venant hollywoodien. La caméra, les personnages, les éléments de décor et désormais les spectateurs... tout le monde flotte dans un sentiment d'immersion rarement (jamais?) atteint. Dans le vide comme dans la narration maintenir la pression est vital. Si la panique s'empare des personnages il n'y a pourtant aucune hystérie dans tout cela. Le réalisateur mexicain déroule son film naturellement, presque facilement tant tout semble s'emboîter parfaitement. Bien sûr de temps à autre quelques détails viennent un peu ternir le tableau comme une séquence "wouf wouf" un peu incongrue ou une fin qui aurait mérité d'être coupée 3 minutes plus tôt, mais on ne plonge jamais dans la bêtise crasse ni dans le cynisme facile. Simple, jusqu'au bout, mais pas simpliste. Humain, mais pas bête. La mort et tout ce que ça implique pour le personnage principal traverse et englobe tout le film, le doute, la peur et le reste. George Clooney raconte des petites blagues ? Pourtant il ne le fait jamais gratuitement. Il ne fait aucun doute qu'il ne sort jamais de son rôle de professionnel de l'espace, de type ne perdant jamais de vue les enjeux et les priorités, un mec qui a déjà accepté tous les risques de sa mission bien avant le décollage.
Certains comparent Gravity à un grand huit et l'analogie n'est pas complètement fausse tant le film parvient, à la force d'une mise en scène ultra sophistiquée et pourtant parfaitement fluide, à nous faire vivre ses situations de façon viscérale. Plus encore que l'introduction monstrueuse du film, la séquence suivante restera le moment de Cinéma le plus tétanisant de l'année.
Gravity est un pur film de Cinéma, pas seulement l'art cinématographique mais surtout le support : la grande toile cirée qui vous enveloppe et vous happe. C'est un film pensé pour être vu en salle, il perdra sans doute pas mal sur la télé du salon et il n'aura aucun intérêt sur votre smartphone payé bien trop cher. Certains y verront une faiblesse alors que c'est au contraire une force à célébrer, voilà un film qui croit profondément au Cinéma, en la capacité du support à nous transporter et à nous faire vivre des choses. John Carpenter se plait à dire "Je veux avant tout que le public ressente quelque chose. Je veux qu'ils sachent qu'ils sont en vie". Gravity est définitivement à voir au CInéma, il n'existe que pour cela, pas de demie-mesure. Alfonso Cuaron vous met la tête dans la machine à laver et enclenche l'essorage à pleine vitesse et réaffirme que, oui, on peut faire du grand spectacle à la fois virtuose et respectueux de son public.
Alors que le Cinéma Hollywoodien se construit habituellement tout en compromis fades pour ne pas perdre ses clients.... heu spectateurs, Gravity ne transige pas, il ose et il va jusqu'au bout de ses promesses. Gravity est un projet fait avec le coeur et avec les cojones. Divertir n'est pas avilir et Gravity renoue avec la noblesse de cet exercice.