Critique : Gravity (par Cineshow.fr)

Si Alfonso Cuaron n’est pas le plus prolifique des réalisateurs, il est sans aucun doute l’un des plus talentueux de sa génération. A l’instar de James Cameron, la quantité n’est pas ce qui intéresse le Mexicain, mais bien l’importance de l’œuvre, son poids cinématographique, tant par le fond que par la forme. Il est celui à qui l’on doit sans doute le meilleur épisode de la saga Harry Potter (Le Prisonnier d’Azkaban) mais aussi le chef d’œuvre d’anticipation Les Fils de l’homme (datant de 2006). Autant dire qu’avec de telles références, l’immense projet et défi technologique que représentait Gravity avait de quoi faire saliver les spectateurs. Avec sa production très secrète, une sortie retardée d’un an, un temps de développement de 4 années, des technologies entièrement créées pour le film, un James Cameron dubitatif à l’origine du projet quant à la possibilité d’atteindre le niveau de perfection souhaité par Cuaron en terme de rendu, et une valse des acteurs jusqu’à ce que Sandra Bullock et George Clooney n’arrivent sur le projet, Gravity avait tout du projet pharaonique qui se transformerait soit en échec notoire, soit en chef d’œuvre absolu. Dès l’apparition du premier trailer, les doutes semblaient avoir disparu, restait à s’en convaincre en allant le découvrir dans une salle à la technologie visuelle et acoustique au moins aussi avancée que celles employées pour le film afin de savourer chaque détail de ce voyage dans l’espace. Les attentes étaient donc immenses, presque impossibles à combler et pourtant, Gravity réussi l’exploit de non seulement nous émerveiller, mais aussi nous surprendre pendant 1h30. Ne cherchez plus, le chef d’œuvre de l’année est là.

L’entrée en la matière ne tarde pas et le mot d’ordre qui semble avoir dirigé ce grand projet apparait comme une évidence dès le premier son, dès la première image : immersion. Après quelques phrases rappelant que dans l’espace, le son ne se propage pas et que la vie de l’être humain est impossible, Gravity s’ouvre sur un plan de la terre vue de l’espace ; la sensation d’être projetée en apesanteur en un claquement de doigts est stupéfiante. Une navette apparaît alors au loin de l’écran et se rapproche lentement, seules les communications radios sont perceptibles. Le réalisme est tel qu’il est impossible pour l’œil d’apporter un jugement objectif quant à la source des images (images réelles ou images de synthèse), y compris lorsque les premiers personnages dans leur combinaison ou objets technologiques commenceront à être de plus en plus présents à l’écran. Gravity a quelque chose de fondamentalement perturbant dans ces premiers instants, celui de faire perdre aux spectateurs tout sentiment de repères, d’éléments potentiellement rassurants auxquels on pourrait se raccrocher. La notion d’horizon n’existe plus, celle du haut et du bas non plus, et le son n’est plus véhiculé (seule la musique discrète et quelques bruits sourds nous parviendront). En seulement quelques minutes, et sans même que l’histoire n’est à se mettre en place, Alfonso Cuaron parvient grâce à ce réalisme poussé à son paroxysme et sa mise en scène utilisant ce qu’il y a de plus pur dans la grammaire cinématographique à capter puis transporter l’ensemble des spectateurs. Un voyage visuel et sensoriel sans précédent, mais également un voyage intérieur flirtant plus d’une fois avec de nombreux questionnements métaphysiques. En ouvrant Gravity par un plan-séquence d’une quinzaine de minutes, le réalisateur réitère l’exploit de l’incroyable séquence de l’attaque de la voiture des Fils de l’Homme, mais offre ici en plus un ballet aérien d’une maîtrise sidérante, proposant les plans dans l’espace les plus spectaculaires jamais vus sur grand écran. Il balade sa caméra virtuelle d’astronautes en astronautes, frôlant les visages à quelques millimètres seulement, surfant sur les ailes de la navette sans contraintes physiques, reculant de quelques centaines de mètres avant de foncer vers Sandra Bullock, pour entrer latéralement dans son casque avant de devenir ses yeux et se transformer en vue subjective. Le tout en un seul plan, sans interruption.

La réalisation de Cuaron tient du miracle et les idées novatrices se comptent par dizaine à chaque minute. Impossible de ne pas être déconcerté par un tel génie mis à l’écran et condensé en seulement quelques plans. Dès cette ouverture, le réalisateur élève son cinéma vers des cimes à peine concevables avant d’y être frontalement confrontés, ce qui aurait déjà été amplement suffisant pour faire de Gravity un monument. Mais ce n’était pas assez pour la famille Cuaron puisque Jonas (son fils) qui officie ici comme scénariste offre à ce survival spatial un propos universel à l’efficacité imparable. D’une simple course à la vie pour ces deux astronautes (pour l’un il s’agit de la dernière mission, pour l’autre de sa première), Jonas Cuaron en fait un mélodrame bouleversant, un film sur le deuil tout en pudeur et un hymne intemporel à la vie. Cameron l’avait bien compris, il ne suffit pas de réaliser une bande-démo pour conquérir les spectateurs. Il faut les toucher au plus profond d’eux-mêmes, leur faire vivre une expérience extérieure mais aussi intérieure. Et c’est exactement ce que Gravity parvient à faire, nous faire vivre une expérience viscérale à chaque instant, tout en empoignant notre cœur à poing fermé, et nous nouer la gorge pour que l’on ressorte de la salle étourdit par tant d’émotions. Tantôt un rêve, tantôt un cauchemar, Gravity et une projection directe de notre subconscient, comme si la famille Cuaron avait derrière ce film aux allures de science-fiction trouvé le terreau idéal aux questionnements fondamentaux de l’être humain. Jamais il n’aura été possible de ressentir dans un laps de temps aussi cours la joie, la contemplation, la tristesse, les larmes, les sueurs froides, l’accélération surprenante de son rythme cardiaque, presque l’absence d’air autour de nous. Gravity, c’est tout cela à la fois, la mise à l’épreuve des spectateurs dans une quête à la survie menée par une Sandra Bullock méconnaissable. Si George Clooney est également idéal dans son rôle d’astronaute expérimenté et porté sur la blague, l’actrice Oscarisée en 2010 et pourtant si décriée nous offre la meilleure prestation de sa carrière sous la direction de Cuaron. Elle campe à merveille cette femme rongée par un profond malaise et une gangrène psychologique qui finira par être son leitmotiv à ne jamais lâcher prise.

A la fois par ses personnages si bien écrits et si profonds que par sa forme n’ayant aucune forme de concurrence à l’heure actuelle, Gravity est une sorte de grand manège magnétique duquel il est impossible de sortir. De la première seconde à la dernière, le spectacle est colossal car toujours juste. Jamais Alfonso Cuaron ne cherche la démonstration technique juste pour impressionner, jamais il ne cherche à appuyer la dramaturgie plus que de raison. Il reste maîtrisé, faisant parfaitement confiance à ses spectateurs pour imaginer les instants manquants sans avoir besoin de les appuyer par un flash-back ou une autre mécanique désuète. L’ensemble de l’imposant dispositif ne sert qu’un objectif unique : l’histoire. Rien ne dérogera à la règle, aucune digression malvenue ne viendra ternir le tableau. A l’instar de John McTiernan et de sa science parfaite du découpage, le réalisateur Mexicain s’appuie sur les fondements offerts par le cinéma pour raconter son histoire, témoigne d’une foi sans faille dans les images qu’il offre et propose une œuvre d’un genre nouveau redéfinissant les règles du survival pour en devenir sans doute la référence ultime. Sidérant d’un bout à l’autre, y compris par son utilisation de la 3D comme véritable outil narratif, Gravity s’achève dans un troisième acte prodigieux, ou chaque plan développe une symbolique de plus en plus forte sur la notion d’espoir. Le père et le fils Cuaron envisagent le deuil comme une renaissance intérieure, un passage obligatoire pour que de l’espoir naisse véritablement l’immortalité. En faisant la paix avec lui-même, le personnage de Sandra Bullock perd son statut de simple personnage à la qualité d’écriture élevée, mais s’élève au statut d’icône universelle et intemporelle à l’instar des plus grands personnages du 7 e art. Tout ce qu’elle représente et le parcours qu’elle suit n’est qu’une immense allégorie de la Vie avec un grand V, et c’est probablement ce qui demeurera le plus impressionnant dans Gravity.

L’expérience est formidable, éreintante, on en ressort les yeux embués et les mains tremblantes, pleinement conscient d’avoir assisté ou plus exactement vécu quelque chose d’incroyable. Alfonso Cuaron n’a jamais cessé de s’élever depuis ses débuts, mais semble avoir atteint ici une sorte de firmament d’ores et déjà inégalable. La symbiose entre fond, forme et regard des spectateurs est totale, le résultat est vertigineux, magistral, prodigieux, les qualificatifs manquent. Il y aura un avant et un après Gravity, un film qui ne se regarde même plus, mais qui se vit, et se ressent.
mcrucq
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le 14 oct. 2013

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Mathieu  CRUCQ

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