Un road movie simple et humaniste, dénonçant son propos sans artifice

Green Book est décidément le film que l’on n’avait pas vu venir. D’une part parce qu’il est réalisé par Peter Farrelly, réalisateur qui, jusque-là, n’a fait que travailler avec son frère Bobby depuis 1994. De l’autre parce qu’il s’agit d’un drame acclamé par la critique, primé aux Golden Globes et nominé aux Oscars. Bien loin des comédies lourdingues mais efficaces que nous avait offertes le cinéaste par le passé (Dumb and Dumber, Mary à tout prix, Fous d’Irène, L’amour extra-large et j’en passe !). Bref, l’exemple même du long-métrage improbable, remettant en cause les préjugés que nous pouvons avoir sur certains projets (comme c’était le cas avec Get Out, film d’horreur réalisé par le comique Jordan Peele). Et quel film ! Le genre qui redonne le sourire car apportant une véritable leçon de vie et fait avec un savoir-faire des plus implacables. De quoi effacer les multiples tentatives du cinéma américain de nous parler de ségrégationnisme.


Car des films traitant du racisme, aussi bien aux États-Unis qu’en général, Hollywood nous en sert en rafale. Surtout en cette période de l’année (entre septembre et janvier), propice aux nominations aux Oscars. Et si certains titres sortent du lot pour leur puissance à véhiculer leur message, par le scénario et/ou la mise en scène (Mississippi Burning, Twelve Years a Slave…), d’autres semblent profiter que l’Académie soit friande de ce sujet pour bien se faire voir (Le Majordome, Selma, The Birth of a Nation, Les Figures de l’Ombre, BlacKkKlansman…). Non pas qu’ils soient mauvais dans l’ensemble, loin là (Les Figures de l’Ombre et BlacKkKlansman étaient même très bons) ! Juste qu’ils n’ont pas l’efficacité de certains pour nous parler de racisme sans éviter de se répéter au fil des titres (on revoie les mêmes scènes à chaque fois) ni d’appuyer le propos par moment de manière un peu trop poussé (via une mise en scène ou une écriture trop lourde). Green Book n’est clairement pas de cet acabit. Il s’agit d’un film maîtrisé qui véhicule son message avec une très grande efficacité par le biais d’une idée toute bête : la simplicité.


Déjà une simplicité d’écriture. Simple d’être passé par l’idée inverse de ce qui se fait habituellement, à savoir montrer un Blanc au service d’un Noir (histoire vraie, comme ici, ou pas). Simple dans son traitement, préférant se concentrer avant toute chose sur la relation des deux personnages principaux plutôt que sur le ségrégationnisme ambiant (alors que d’autre films nous l’auraient automatiquement jeté en pleine face). Simple au point de raconter tout cela avec une certaine légèreté, un humour d’une finesse bienvenue (bien loin du comique graveleux auquel nous avais habitué Farrelly). Bref, Green Book n’a rien d’un long-métrage pompeux ou m’as-tu-vu mais bien d’une aventure humaine. Celle d’un road movie qui narre l’amitié naissante entre deux hommes que tout oppose (un Blanc des bas-fonds et un Noir cultivé de la haute) et dont les péripéties (altercation dans un bar, arrestation abusive par un policier, interdictions proclamées par des hôtes lors de la tournée…) seront l’occasion pour nous faire part de divers messages. Le racisme mais également les différences culturelles, sociales. Le partage (l’aide pour écrire les lettres, par exemple) et la confiance que l’on peut apporter à autrui comme remède à tous ces maux cités précédemment. La structure narrative peut paraître répétitive, surtout pour un film de plus de deux heures, mais fonctionne encore. Et vu la dernière séquence du film, qui aurait pu être un happy end des plus miévreux, le tout illumine tout simplement notre esprit une fois le générique de fin entamé. Car tel se présente Green Book à nos yeux : un véritable feel good movie, d’une efficacité redoutable tout ayant bien des choses à pointer du doigt.


Simplicité également du côté de la mise en scène, Farrelly optant plus pour la sobriété plutôt que l’excès. Je parlais de films traitant leur sujet de manière à beaucoup trop appuyer leur propos au point d’être un chouïa lourds dans leur rendu, c’est notamment à cause d’une mise en scène artificielle (montage abusant de ralentis, musiques à fond les violons…). Pour Green Book, il n’y a tout simplement rien d’artificiel. Juste une caméra qui épouse à la perfection le jeu et la gestuelle des comédiens (exceptionnels Viggo Mortensen et Mahershala Ali). Une ambiance légère à la la limite du jazzy pour nous offrir cette bonne humeur. Un montage qui ne tombe jamais dans l’excès d’effets. Des plans somptueusement choisis pour évoquer les messages par un visuel, de manière explicite, sans passer par de l’écriture ou de la mise en scène à outrance (l’exemple de la séquence où le personnage d’Ali regarde les Noirs travailler dans les champs). Non franchement, il n’y a rien à redire sur la technique du long-métrage. À part que Peter Farrelly révèle au grand jour un talent qui nous était inconnu. Un savoir-faire certain qu’il nous tarde de découvrir sur d’autres projets du même genre.


Voilà donc ce qu’est Green Book. Alors qu’il pouvait se présenter comme un énième film traitant du racisme pour avoir sa place aux Oscars comme la plupart de ces semblables, il est une véritable ode à la vie. Un film qui dénonce en appuyant avec simplicité sur de grosses parts d’ombre pour nous apporter bien des rayons de soleil. Peut-être un peu répétitif avec sa structure en road movie. Mais suffisamment fin à l’écriture et à la mise en scène pour mériter pleinement ses bonnes critiques et sa place aux Oscars. M. Farrelly, bravo pour ce formidable coup d’essai en dehors de la comédie !


Critique sur le site https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/02/green-book-sur-les-routes-du-sud.html

sebastiendecocq
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le 4 févr. 2019

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