L'écriture de cette critique a été motivée par une question qui, je pense, mérite d'être posée au sujet de ce film et permet de le juger : qu'est-ce que Green Book ?
Est-ce un biopic ? Est-ce un feel-good movie ? Est-ce un film éminemment politique ? Est-ce un peu de tout cela ?
Je pense que ce serait une erreur de s'attendre à un film à caractère documentaire sur la tournée dans les états du sud des États-Unis de Don Shirley — remarquablement interprété par Mahershala Ali. J'en veux pour preuve l'omniprésence de ce hâbleur interprété par Viggo Mortensen, de sa famille et du milieu américano-italien new yorkais auquel il appartient. De plus, le portrait qui est fait de Don Shirley est assez flou et, selon les dires de sa famille, complètement erroné. Celui dont on pourrait légitimement s'attendre à ce qu'il soit au centre du scénario se retrouve donc relégué au second plan (comme l'illustrent de façon significative les récompenses attribuées à Mahershala Ali pour son « second rôle ») au profit d'un personnage qui semble de second plan d'un point de vue « historique ». C'est d'ailleurs ce personnage de chauffeur/garde du corps qui incarne la portée de feel-good movie de Green Book, non seulement, par sa balourdise, qui devient au cours du film un quasi-comique de répétition, mais aussi par l'évolution de ses valeurs et de son regard porté sur l'autre qui ponctue le film.
La question du regard porté sur l'autre est, d'ailleurs, centrale dans le film et le détache de cette tonalité comique. Le personnage de Don Shirley permet cette inflexion car il repose essentiellement sur la question de l'altérité et du qu'est-ce qu'être autre, en tant qu'homme noir qui évolue dans une société blanche américaine dans les années 60 et qui ne correspond pas au stéréotype du noir américain de cette époque, et montre les traces aussi bien physiques que psychologiques de cette altérité.
La dissonance en terme de registre entre les deux personnages me semble d’ailleurs porteuse d’un message politique : le drame – on pourrait presque dire la tragédie par moment – de Don Shirley finit par se mêler à la comédie de Tony Lip
et finit même par être effacée au profit de cette dernière
preuve de l'optimisme des scénaristes qui s'applique aussi bien à la société des années 60 qu'à la nôtre. En cela, le film semble être une fable baignant le spectateur dans cette époque grâce au décor et à la musique et montrant que le racisme n’est pas une fatalité. De même, l’évolution de Tony Lip fait de ce personnage un paradigme plus qu’un individu ayant réellement existé.
Green Book est donc un film pluriel, qui refuse de s'inscrire dans un genre particulier. Cette hétéroclité donne une richesse tonale au film qui l’évite de tomber dans un propos trop « pesant » ou dans un tout-comique qui serait mal venu. Green Book porte donc un bel espoir politique et social et le fait de façon plaisante, et c’est en cela un bon film, mais c’est en revanche un mauvais biopic, ce qu'il revendique pourtant être à longueur de bande-annonce.