Ainsi naquit la légende de Christophe Lambert
Ah... Qu'est-ce qu'il est kiffant ce bon Christophe !
Alors c'est vrai que maintenant il fait un peu de peine, on dirait qu'il a 95 ans, il n'arrive plus à parler normalement, avec sa voix chevrotante de vieillard. Mais bon, légendaire le type...
Dire qu'il a commencé sa carrière en bondissant de lianes en lianes, en slip, avec comme seuls compagnons, une bande de singes en plastique faisant tout plein de borborygmes grotesques.
Magique...
Et le film tient du miracle. Imaginez le challenge improbable :
Faire un bon film avec les ingrédients suivants :
- L'histoire de Tarzan, soit un mec super ringard, dont tout le monde se fout depuis les prestations improbables du blondin Johnny Weismuller dans les 30's.
- Un inconnu français aux yeux qui louchent dans le rôle-titre, supposé être le descendant d'une grande famille britannique, les "Greystoke", notre bon vieux Christophe donc.
- Des singes aussi réalistes que Chewbacca
- Un traitement très 1er degré, "réaliste", adulte, mature
- Une musique symphonique pompière signée John Scott
Impossible !
Et pourtant, le charme opère...
D'abord, et c'est surprenant, le film est d'entrée hyper violent et sans pitié. Les morts s'enchaînent à toute vitesse, des geysers de sang inondent la jungle (superbement photographiée, c'est le chef-op de Kubrick en même temps...), ça n'a rien d'enfantin, de cartoonesque, ou de gentillet. Il doit y avoir un record de kill là-dedans, tout y passe, les hommes, les singes, les panthères, les perroquets...
Un traitement étonnant donc. A la violence physique de la première partie, succède la violence psychologique, lors du retour en Angleterre, à base de diverses moqueries et humiliations, qui est peut-être même pire !
Surtout, malgré cet aspect réaliste, dur, âpre, et sans pitié, on parvient à conserver la naïveté du récit, son aspect conte magique. La musique très lyrique aide beaucoup, mais le montage également, puisque le film se compose d'une succession de séquences "fortes" toutes séparées par des ellipses plus ou moins importantes.
Du coup, il n'y a pas de véritable continuité, mais le tout fonctionne comme un bon livre d'images, dynamique, efficace, simpliste aussi (les personnages sont incroyablement sous développés, et hyper binaires hormis Christophe Lambert et Ian Holm).
On va droit au but, on ne perd pas de temps à s'emmerder avec du superflu (et ce malgré les 2h15 inquiétantes à priori), et on avance sans cesse.
En gros en 10 minutes, on peut passer de Tarzan bébé materné par un grand singe, à Tarzan adulte qui sauve Ian Holm d'une tribu de vilains africains qui tuent des hommes blancs, et ce sans le moindre embarras.
Christophe est formidable, c'est extraordinaire ce qu'il fait, il a le rôle le plus ridicule du monde, il a tout pour être la risée du monde entier (il se rattrapera plus tard heureusement, avec des prestations mémorables comme celles de Vercingétorix ou Beowulf), à gesticuler, à bondir, à faire des gros yeux, à gémir, à faire le singe, ...
Ca fonctionne ! Il est crédible, on y croit, il incarne totalement son rôle, au pur premier degré, il assume totalement.
Et c'est l'esprit du film, oui, le thème, l'histoire sont casse-gueule, mais on y va, on a notre postulat, on n'a pas honte, et on déroule notre histoire jusqu'au bout de façon sérieuse et appliquée, sans oublier de faire preuve d'humour entre deux séquences terrifiantes. Très belles scènes d'apprentissage entre Ian Holm et Christophe Lambert d'ailleurs, où les deux s'entraident constamment pour créer une très belle complicité (presque digne de celle de Derzou Ouzala, soyons fous).
L'autre idée formidable du film, c'est Ian Holm. Le hobbit le plus connu de la galaxie est tout simplement un acteur génial. Le type a beau être tout petit, ne pas payer de mine, il mange tout le monde par sa classe et son charisme.
Surtout, il est extrêmement attachant dans ce rôle d'explorateur belge (magnifique accent belge d'ailleurs), qui lutte pour sa survie dans le milieu particulièrement hostile de la jungle, et qui va guider comme il peut le jeune Greystoke dans la suite du récit, où comment réussir son intégration dans la haute société anglaise, peut-être encore plus sauvage que la jungle elle-même.
Bon en fait le casting est dantesque, parce qu'on se rend compte que dans les seconds rôles, on a l'extraordinaire Ralph Richardson dans le rôle du grand-père complètement enfantin et gâteux, très touchant et humain...
James Fox (honteusement sous-exploité), Andie MacDowell (mouais, là non...)...
Bon sinon, tout n'est pas forcément très convainquant non plus, les parallèles faits entre la famille simiesque, puis par la suite la famille britannique, sont un peu lourdingues.
Globalement toutes les séquences avec les singes (qui sonnent incroyablement faux) sont ratées, peu lisibles (il y a des espèces de guerre de clans, et le seul moyen de distinguer un gorille d'un autre, c'est de voir s'il a une barbe ou non...), l'histoire trop légère et simpliste. Mais il y a du charme, de la grâce, une certaine aura, et un plaisir à découvrir et à redécouvrir cette oeuvre risquée et pas du tout inintéressante.
Et puis, c'est comme ça que Cricri est entré dans la légende, et ça, ça n'a pas de prix. Sans Greystoke, le monde n'aurait jamais eu la même saveur, qu'on se le tienne pour dit.