Grizzly Man
7.6
Grizzly Man

Documentaire de Werner Herzog (2005)

Herzog ; style ; faire parler devant la camera des gens sur des choses puissantes et qui oublient qu'ils sont filmés. Leçon, qualité exceptionnelle ; réussir à trouver ces questions. La caméra qui bouge et gigote durant les interviews. Cette liberté à participer à son documentaire. Choisir son sujet.


Maintenant, la lecture des autres critiques rend nécessaire l'écriture de la mienne, en tant que je suis d'accord avec personne ahah :) Je pense qu'Herzog n'est pas juge impartial et que son traitement est légèrement biaisée. Ce qui est dommage en tant qu'on ignore et élude les questions les plus fascinantes.


Noeud de relations complexe. La relation entre Treadwell et le vivant/ours est je trouve relaté au second plan. Treadwell a fait de la merde, d'accord mais comment Treadwell est arrivé à filmer tout ce fantastique ? Comment ? Puisque Herzog a voulu faire un doc sur le gothique sauvage et non pas juste regarder ce qu'il a filmé, alors il faut ajouter un contenu en plus, une épaisseur bien pertinente or même si il est clair que l'oeuvre du blond gothique passionne Herzog, je trouve qu'il ne va pas dans le fond. Il me semble que la réalité du terrain est que sans appatâge (d'ailleurs a t-il appâter ??), il aurait été quasi impossible d'avoir une grande partie des images que Treadwell a eu en respectant les règles du parc. Les scènes de pêche en étant à 100 pieds (30 mètre) ou celle du combat pour la femelle ok, c'est tout à fait possible mais les autres, comment nier que la proximité a quelque chose de génial, de crispant, de beau, de nécessaire. On dirait qu'il vit avec les ours, c'est absolument surréaliste.


Ensuite j'ai vu beaucoup de critique sur l'anthropocentrisme de notre gothique blond, à ce compte je reprends Morizot (Les Diplomates) ; l'anthropocentrisme est obligatoire quand on veut se rapporcher, comprendre, voir la vie des autres vivants. Donc il n'est pas nécessairement "mauvais". Il l'est dans deux cas :

- 1. Quand il découle du besoin d'une certaine métaphysique (naturaliste ; culture vs nature - tu es raisonnable tu sais que c'est dangereux pourquoi tu y vas, ce n'est pas pour nous) de réaffirmer encore et encore la différence entre humain et non humain

- 2. Quand les humains rabattent la singularité fascinante de la vie sur leurs propres catégories narcissique (le loup est si intelligent mais bon l'intelligence est quand même le propre de l'homme, donc l'homme reste supérieur au loup)


Il y a peut-être en effet un peu de cette anthropocentrisme là, le deuxième, mais rien de majeur. Il y a du narcissisme et de l'égoïsme chez ce personnage (tragique d'ailleurs quand il dit qu'il ne mourra pas tué par un grizzli quelques heures avant) mais à quel point est-il supérieur à la moyenne ? Qui, parmi ceux qui ont une opinion forte sur un film ou une OA pense qu'elle est réellement subjective et n'aime pas qu'on aille dans son sens, en le confortant ?


Par contre dans le commentaire de Herzog il y a clairement de l'anthropocentrisme (en s'accordant à ces deux définitions) La séparation entre homme et grizz semble évidente, la question de l'intelligence, des émotions des grizz et des renards n'est pas posée alors qu'elle est juste fascinante et très complexe si on rejette cette métaphysique merdique du on est intelligence et on a la raison, on connait le bien et le mal gngn et ils ont des pulsions et ils sont bêtes mêmes si bon ils sont très très beaux.

Je peux apporter la nuance en faveur de Herzog que le grizz est un animal spécial en tant qu'il peut être un prédateur direct pour les hommes (en moyenne une dizaine de mort par an), ce qui n'est pas le cas du renard ou du loup aujourd'hui). Mais cela n'implique en rien son commentaire de fin, certes cynique du "il y a dans les yeux des ours aucune traces d'émotion" mais merde qu'est ce que tu en sais exactement de ça ? Le grizzli est là, il ne fuit pas, mais est-ce nécessairement de l'indifférence ? Peut-être, et alors, est-ce que ça en fait un être pulsionnel ?


Je ne suis pas non plus absolument en accord avec la critique visant à faire du gothique sauvage un enfant de coeur naïf. Intro du film ; "Je suis sur leur territoire, si je montre de la faiblesse, je pourrais être tué" En comparaison, ça n'a rien à voir avec le très commun de la naïveté absolu, "oh le petit gentil chien, il est mignon, tu veux des caresses (à ce moment là il bouge la queue) oh tu bouges la queue que tu dois être content que je te caresse (non c'était un avertissement), oh tu ne bouges plus c'est bien que tu aimes bien (absolument pas), aieeeeee mais putain d'où tu me mords" (500 000 morsures/an en France, 10% avec hospitalisation) Cet exemple montre bien d'ailleurs comment on n'y connait rien aux autres vivants.


Quand il faut critiquer le blond, je trouve la critique du conservateur de musée très juste, elle se place à travers la position des ours ; ok est-ce que ça leur bénéficie vraiment ce qu'il fait ? Et elle n'exclue pas une cohabitation entre les deux (une absence d'homme sur ces territoires) mais à condition de donner l'information à l'ours que vous êtes ici. (Face aux grizz, pour votre sécurité et la leur, veuillez porter une petite clochette). Mais elle ne permet pas de rendre compte des questions que les clips de Treadwell posent :

- Pourquoi Treadwell n'était pas vu comme une menace pour les grizz et pouvait à ce point les observer.

- À quel point Treadwell a-t-il influencé le comportement des ours ?

- Quels sont les occupations des grizzlis?

- Comment c'est possible que les renards trouvent en la tente de Treadwell un lieu d'intérêt et de "sécurité" (en tant qu'ils n'en ont pas peur) ?

- Comment Treadwell a surmonté sa peur ? Je n'y crois pas qu'il avait originellement aucune appréhension, crainte ? il est alors difficile de juger de son niveau d'inconscience. Ensuite, soyons un peu stoïcien (prenons de la hauteur, voyons les choses du point de vue du monde) en quoi un peu de romantisation du vivant ferait du mal ? Parce que les méchants romantiques sont des naïfs stupides ? Peut-être, mais quand on sait que l'espèce humaine est la cause de la sixième extinction de masse, un autre regard, est absolument nécessaire.


Je trouve également que le documentaire de Herzog (involontairement) biaise les observations de Treadwell qui consistent à documenter une vie majoritairement "paisible" (c'est pas le bon mot mais disons que j'entends sans conflits) Quand aurions-nous des documentaires qui s'intéresseront à la vie de ces bêtes en dehors du prisme omniprésent du conflit ? Enfaite, cela est en partie déjà disponible sur ytb avec les cameras dans des nids ou des zones de forte activité. Vous ne me croyez pas, aller donc voir par vous-même !


Ce que j'aurais demandé à ce film, ce n'est pas de répondre à ces paradoxes et questions, mais de les poser clairement. Pourquoi les aimes-t-il alors qu'il sait qu'ils peuvent le tuer ? Peut-être qu'il est fou mais que gagne-t-on à dire, il est fou, pourquoi ne pas partir du principe qu'il avait raison ? Pourquoi ne pas faire l'anatomie (puisque ce mot est à la mode et que je veux être à la mode) de son amour ? Cela est implicitement fait mais de manière très réductrice (solution pour les drogues machins) Mais n'est jamais vraiment mesuré à mon sens, est-ce qu'on se rend compte à quel point il faut être passionné, se sentir en "harmonie" pour aller 4 mois x 13 (et encore plus si il avait pu) seul (ou presque) dans un endroit aussi isolé ? Sérieux, c'est quoi les couilles de ce mec ? (oui je suis un masculiniste :) Et d'ailleurs sans cette pensée d'harmonie, sans ce spiritualisme et sans cet amour qui oui peut paraitre insupportable, il n'aurait sans doute pas pu faire ce qu'il a fait. Franchement vous me laissez autant de temps dehors, comme ça, à fin je crois à tous les dieux de la planète si ça se trouve ou je suis un chaman sauvage au mieux. Le contexte ne se prête absolument pas à la rationalité totale, il y a nécessairement une croyance qui prend le dessus (dans les situations difficiles souvent ce n'est pas la raison mais bien la croyance parfois folle ou ésotérique qui permet de s'en sortir)


Enfin, sur la question de savoir si il s'est trompé de combat (les sociétés conservations vs la société et la civilisation qui s'en branle du vivant) ; Herzog a raison de le souligner, bien sûr que sa collère contre les nomes et la société de protection n'est pas justifiable (même si encore une fois en les respectant on n'aurait jamais ces images) mais dire que du coup le viking se trompe de combat, euh c'est aller vite en besogne. Je croyais au début du documentaire, justement qu'il avait sensibilisé des centaines de jeunes et avait laissé chez certains d'eux un souvenir qui a marqué leur scolarité. Mais merde moi je veux savoir si il y en a encore qui s'en souviennent et comment ? Il y a une question fondamental là. Effectivement les populations de grizz se portent plutôt bien en Alaska mais ce n'est pas le cas partout, le grizz a été persécuté et surtout il dépend d'un écosystème qui est exploité et qui va prendre très cher avec le réchauffement climatique (donc les grizzlis aussi, d'ailleurs il parle religieusement du problème de la pluie) donc pour protéger les grizzlis et les espèces sauvages, il faut en engagement, une volonté de changer les comportements qui n'arrivera qu'avec une passion, un soucis et un intérêt pour le vivant ; la question est alors est ce que Treadwell a réussi à transmettre cette passion, ce soucis, le désir de changer pour les grizz ? Est-ce qu'il a réussi à ce qu'on "voit" cette espèce autrement, non plus comme un méchant et dangereux ours (sens populaire qui n'est pas totalement dans l'erreur bien sûr mais qui est réducteur) mais comme des vivants faisant leur vie, avec des conflits, mais aussi une tranquillité propre, ou comme le dit Morizot, une singularité fascinante, une autre manière d'être vivant.

Champsglissants
5
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le 19 mai 2024

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