Je n'avais jamais entendu parler de Jean Grémillon, et c'est sans doute un tort, à la lumière de Gueule d'amour. Il filme Jean Gabin, héros national de la décade en question, d'une manière très singulière, dans une tendresse et une sensibilité que je ne lui connaissais pas, et qui est sans doute à l'origine du malaise qu'il éprouvait, ai-je lu, quand il revoyait ce film.


La cadre initial ressemble vaguement à celui de Pépé le Moko chez Duvivier, en remplaçant les ruelles d'Alger par celles d'Orange. Jean Gabin et Mireille Balin, eux, y occupent le haut de l'affiche dans les deux cas. Pendant un long moment, Gueule d'amour (surnom de Gabin à l'époque) se focalise sur une romance entre les deux tourtereaux, et donne l'impression d'évoluer dans les sentiers très bien balisés du genre. Lui, le spahi (un corps de cavalerie de l'armée coloniale en Algérie) dans son beau costume lui donnant des allures de prince, fait chavirer tous les cœurs sur son passage. Elle, dans le rôle d'une femme fatale — un costume sans doute un peu trop grand pour ses épaules, mais j'ai beaucoup de mal avec Balin... Le résultat : une relation contrariée, forcément, dans laquelle les différences de milieu social auront raison du reste.


On a un peu de mal à croire au rejet que semble ressentir Gabin, comme si son charme n'opérait plus une fois l'uniforme déposé. Mais Gabin reste Gabin, à mes yeux. Par contre, le glissement de la désinvolture des débuts vers la gravité de la suite est bien opéré, avec un équilibre intéressant dans la passion et la tragédie. La relation entre Gabin et son ami, un camarade devenu médecin, prend progressivement de l'importance pour finalement occuper le centre du récit. Le point focal évolue de l'amour impossible à l'amitié inébranlable, cette dernière étant magnifiée dans la dernière séquence, avec une bise et une étreinte surprenante, ponctuées par des adieux sur les quais classiques mais invariablement déchirants.


Il y a de quoi penser à un film peu connu de Verneuil sorti 15 ans plus tard, Le Fruit défendu, dans lequel Fernandel avait un rôle comparable à celui de Gabin. La notion de passion fatale est traitée de manière similaire, dans un style toutefois différent, épousant le tragique de la situation sans pour autant sombrer dans l'emphase. Et ce sont sans doute les séquences montrant le personnage dans toute sa solitude, avec par exemple Gabin seul dans un café alors que tout le monde s'affaire dehors, qui sont les plus belles. Perdu dans le cadre, enveloppé dans une mélancolie tenace, avec les réminiscences d'un bonheur passé confinées dans la bande son, comme un lointain souvenir.


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Morrinson
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le 6 août 2018

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