Pour éviter les tuiles, le couvreur lui, ne fait pas d’ ardoises…
Il y avait les "gueules cassées", les "gueules noires", on connaît moins (enfin moi) les gueules bleues...
Au Nord il y avait les corons chantait Pierre Bachelet...
Mais dans le Haut Anjou, il y avait aussi des mineurs de fond... Où de père en fils, ils ont exploita durant des siècles une des meilleures ardoises du monde, si j'en crois le témoignage d'un des ouvriers qui y travaillait : une gueule bleue faisant référence à la peau de leur visage et de leurs bras colorés par la poussière d'ardoise...
Les mines de Trélazé ont fermé en 2014 et Nicolas Jallot , au-lieu de nous livrer un film documentaire fastidieux, nous fait revivre dans son récit, la saga de ces ardoisiers méconnus, de leurs vies, de leur attachement à ce métier bien qu'il savaient qu'ils y laisseraient leurs peaux, leur santé...
La mine c'était avant tout une famille nous livre l'un d'eux... Le paternalisme rivait les les mineurs à leur outil de travail... Les logements, c'était ceux de la mine, le cinéma aussi, "on était bien payé : j'ai pu rapidement m'acheter une mob" ! "On partait en vacances grâce à la mine... On avait les soins médicaux gratuits et un docteur affilié à la mine... Si on la quittait, on perdait tout !"
Mieux, les femmes travaillaient elles aussi grâce à l'ardoise, mais comme elles n'avaient pas le droit de descendre dans le "trou", elles étaient "fendeuses". Les blocs d'ardoises parfois de plusieurs tonnes,qui étaient remontées étant constituées de strates, il fallait les débiter.
A l'aide d'un maillet et d'une espèce de burin, les minces feuilles pouvaient être dissociées...
Pour bien gagner sa vie, la norme était de 1 000 feuilles à l'heure.. Impressionnant.
Les fendeuses, une fois les salaires perçus pouvaient passer au bistrot proche de la mine pour rembourser les consommations de leurs hommes, d'où l'expression "payer avec son ardoise"...
Esclavagisme ? Toutes les revendications syndicales ont été un échec au fil du temps : les directions objectaient que si on n'était pas content, on nous conseillait de démissionner... Ni gants, ni masques, malgré un travail dangereux nécessitant le recours au dynamitage. La norme de respirabilité était dépassée de quatre fois ! Sans que ça n'émeuve personne. Tous les mineurs savaient qu'ils détruisaient leurs poumons inexorablement mais curieusement, ils regrettent encore cette époque, et la camaraderie, l'esprit d’entraide qui régnait...
En France, on produit de moins en moins, au profit d'emplois artificiels aussi nouveaux que quasi fictifs...
Alors, pourquoi la fermeture des mines ? Pour un dirigeant, c'est que le gisement était quasi épuisé...et voués à la disparition. Dame nature est bonne mais a ses limites.
Ce à quoi un ancien mineur objecte que c'est surtout parce que les bénéfices des actionnaires devenaient insuffisants... Un ancien directeur commercial argumente, lui ,l'absence de rentabilité par rapport à la concurrence : pour exploiter en Anjou, il fallait aller chercher l'ardoise à 500 mètres minimum en sous-sol... Alors qu'en Espagne, les filons se trouvaient à 800 mètres d'altitude et à l'air libre : les dépenses d'exploitation étaient donc bien moindres même si le produit de moins bonnes qualités...
Les briques ont bien cédé le pas aux parpaings et au béton...Toujours produire moins cher.
Ce document se termine en drame : le générique de fin constate : "Depuis 1946, en France on estime à 58 000 le nombre de mineurs morts de la silicose. Moins de 2% auraient fait une demande de reconnaissance en maladie professionnelle... Ceux de ce film témoignent qu'en 2023 pour l'un, qu'il a été débouté de sa demande d'indemnisation par les tribunaux... Un autre lui a eu "plus de chance" : reconnu mais le taux tarde à être fixé... Guerre d'usure ? Un médecin explique que la silicose est irréversible et que les mineurs le savaient... On ne peut en être soigné..
Ils finiront par manque d'air...
Il existe des musées de mines d'ardoises à Trélazé et Remazé ayant permis aux anciens mineurs de revoir et revivre les lieux où ils ont sué sang et eau toute leur vie professionnelle... Avec une nostalgie hélée de fatalisme et non de rancœur... Avec une sincérité qui frise l'admiration, l'héroïsme...
Un document émouvant, aussi pédagogique que dramatique...
A lire : Au pays des gueules bleues, l'histoire des ardoisiers-mineurs de Nicolas Jallot et Julien Derouet. Editions Ouest-France, 192 pages, 27 euros.
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France 3 le 04.03.2024