Optical Malady
Michael Mann affirme désormais clairement sa singularité, et par conséquent divise la critique de façon assez radicale. Les acquis à sa cause y décèlent la patte d’un auteur hors norme, se jouant du...
le 29 mai 2015
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« La question est de savoir quelle forme accomplit ça, quelle forme de composition, quelle forme de lumière, quelle forme de musique accomplit ce que j’avais en tête ». Voilà comment Michael Mann, interviewé par l’historien Michael Henry Wilson, expliquait la démarche qui avait été la sienne pour son premier véritable film, Le Solitaire. Depuis lors, la question est toujours restée la même, jusqu’à devenir sa grande obsession : comment exprimer une idée avec des moyens purement cinématographiques ? Et de fait, le cinéaste est probablement l’un de ceux qui s’est le plus ouvertement rapproché au cours de sa carrière de la résolution de cette impossible équation : le fond = la forme. Cette dernière étant toujours réfléchie et adaptée en fonction de son sujet. Parce qu’il en est de même du cinéma de Michael Mann - qui est presque une science exacte, un cinéma de technicien pensé de façon structurelle - qu’en chimie : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme selon des principes d’échange, de symétrie et de réversibilité.
On comprend alors aisément ce qui aura attiré Michael Mann vers le monde 2.0, frontière ultime de l’abstraction vers laquelle tend son cinéma conceptuel, cérébral et définitivement branché sur son temps. Aussi, avec Blackhat, la question que se pose le cinéaste se mue en comment traduire avec les seuls moyens de la mise en scène l’impalpable, l’invisible et en même temps l’omniprésence du cyberespace ? Quelles formes utiliser pour produire un instantané de cette époque paradoxale où tout est visible et en même temps rien ne l’est ? Et où situer l’humain dans cette nouvelle réalité ?
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Lorsque Michael Mann parle de sa façon de travailler, deux expressions reviennent souvent : « architecture » et « expérience sensorielle ». La première constitue l’ossature sur laquelle le réalisateur bâtît son film pour ensuite « l’épurer » et la « réduire à son essence » . La seconde correspond au travail effectué sur les ambiances visuelles et sonores dans le but de donner une « couleur », une sensation particulière au flux d’images constituant le film.
Appliquée à Blackhat, cette grille de lecture amène le constat suivant. Prolongeant et creusant une logique de compression et de radicalisation entamée avec Collateral, approfondie dans Miami Vice et poursuivie sur Public Enemies, Michael Mann semble avoir réduit l’ossature de son film à sa plus simple expression, une architecture fantôme, qu’il a noyée dans un océan atmosphérique. D’où la sensation de flottement qui domine durant les deux premiers actes. Parce qu’ils nagent en eaux troubles dans une traque à l’aveugle digne de A cause d’un assassinat ou des hommes du président, sans quasiment aucun repère, aucune balise auxquelles se raccrocher, juste quelques miettes de codes en guise de piste, les personnages de Blackhat semblent eux-aussi flotter à la surface d’un magma coloré menaçant à tout instant de les engloutir, de les effacer. L’effet de flou que l’emploi des longues focales donne aux images participe merveilleusement à cette sensation (cf. la scène où le « héros », flou au second plan, pointe une arme, nette au premier plan). Aussi, à la question comment retranscrire en termes formels et sensoriels la volatilité du world wide web, Michael Mann répond d’abord par l’effacement de sa structure, la fonte les uns sur les autres des composants d’une même image et le mouvement continu d’une caméra portée, en apesanteur ; tous ces éléments contribuant à filer la métaphore aquatique.
Et dans ce milieu évanescent, le trouble est semé par des cyberattaques mises en scènes comme autant de tsunamis électroniques se répandant en vagues lumineuses et furieuses le long des canaux - des autoroutes disent certains - du réseau électrique d’une centrale nucléaire ou d’une bourse. Un corps filmé en plongée, des mains fébriles s’agitant sur un clavier tremblotant : voilà pour l’épicentre de tout ceci. Un blackhat qui est aussi un black hole, véritable point aveugle du récit autour du quel gravite tout le film et à qui le réalisateur refuse de donner un visage et donc une humanité, d’où sa puissance sismique et son don d’ubiquité. Un « clic » ici, un « boom » là-bas : voilà pour son pouvoir. Celui de convertir l’abstrait en concret, une menace sourde en décharge de violence peckinpahienne, la plus petite impulsion électrique en une force de frappe cyclonique. C’est un Godzilla numérique, seigneur des océans digitaux qui pratique la rétention d’eau.
Son double mieux intentionné, Nick Hathaway, le withehat et taulard en permission chargé de le traquer, est quant à lui bien humain (touchante scène que celle où il apparaît les yeux rougis, tel un enfant dont on vient de faire éclater la bulle) et bien mannien. Sur le tarmac d’un aéroport en partance pour la Chine, il a ainsi droit à la scène gimmick du cinéma de Michael Mann : celle de la pause contemplative et mélancolique par laquelle le réalisateur exprime le désir de fuite hors du monde de ses personnages (Frank au bord d’un lac dans Le Solitaire, Jeffrey Wigand au bord de l’océan dans Révélations,…). Sauf qu’ici, il manque un élément primordial et garant de l’utopie : l’eau. Nick Hathaway n’a qu’une étendue désertique devant ses yeux. Le rêve s’est asséché, le mirage s’est évanoui, ou du moins n’est-il plus envisageable sur le territoire américain. Beau paradoxe que cette noyade en plein désert. Alors, où donc est passée l’eau ? Quel bougre a-t-il bien pu la siphonner ?
La réponse, le film la donne beaucoup plus tard, dans son troisième acte lorsque que Nick Hathaway et Chen Lien découvrent en Malaisie un barrage que le blackhat compte faire sauter pour toucher le pactole. Une retenue d’eau pour une opération de spéculation boursière : l’image est belle. Et elle fait du blackhat un nouveau Noah Cross, le grand comploteur de Chinatown. Ici comme dans le film de Polanski, le puppet master est métaphoriquement maître des eaux qu’il utilise contre ses opposants : en les noyant (dans une enquête qui piétine), en lançant le déluge (les cyberattaques), ou en les privant des moyens de leur fuite (qui n’est alors plus seulement utopique mais carrément impossible).
Et comme Noah Cross, le cyberterroriste de Blackhat est aussi une incarnation du mal moderne et tentaculaire.
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Le film de Michael Mann s’ouvre sur une vue satellitaire de la Terre enveloppée d’un tissu luminescent dont les stries irradiantes évoquent les algues marines des îles Fidji telles que décrites par Neil McCauley dans Heat : une image du monde-réseau, et son fameux « cloud » dans lequel se cache un hacker mabusien. Puis la caméra amorce sa descente depuis l’infiniment grand vers l’infiniment petit et s’introduit au cœur d’une centrale nucléaire où, devenue caméra-œil, elle abat toutes les cloisons pour s’immiscer au cœur d’un réseau électrique dont elle survole les câblages propageant l’onde de choc de la première cyberattaque.
Avec une telle entrée en matière, le réalisateur pose d’emblée la question du regard. De quel point de vue cette caméra-œil est elle le relais ? Qui regarde à travers ce judas digital ? Du début à la fin, le film travaille cette image des yeux qui épient Nick Hathaway et son équipe où qu’ils aillent. Depuis une caméra de surveillance d’abord, et dans ce cas ce n’est qu’une prise à débrancher, mais aussi et surtout à travers les lumières des environnements urbains. « Mille yeux ouverts et scrutant la nuit d’un monde définitivement sous surveillance » : c’est ainsi que Bernard Benoliel évoque la façon qu’a le cinéaste d’imprimer dans ses plans de villes nocturnes, et leur cartographie lumineuse, l’idée d’un réseau dont on ne s’échappe pas. Une idée renforcée, là encore, par le recours aux longues focales qui, en floutant tout ce qui n’est pas immédiatement au premier plan, insinuent la sensation d’une menace diffuse et omnisciente dont les yeux seraient chaque tache de lumière colorée. Or, dans une société de la technologie et de la surveillance de masse, voir, c’est le pouvoir. « Au royaume des aveugles, le borgne est roi » comme disait le dealer de Tom Cruise dans Minority Report. Et de fait, notre époque telle qu’elle est décrite dans Blackhat ressemble assez au futur dystopique du film de Spielberg. A l’heure du Big Data, impossible de se soustraire au regard de Big Brother semble dire Michael Mann. Et ici, tout semble indiquer que Big Brother est un blackhat tenant autant du cyclone que du cyclope, de Poséidon et de Polyphème.
Tout l’enjeu pour l’équipe de Nick Hathaway est donc d’éborgner cet œil, de retourner ce regard contre celui qui le projette pour l’aveugler et le percer à jour. Aussi, comme pour toute enquête, il s’agit en premier lieu de se rendre sur les scènes de crime et les étudier pour y trouver la signature du criminel : des traces qu’il aura laissées, des morceaux de code qu’il aura semés. Comme un légiste, on analyse les plaies, les brèches par lesquelles le hacker s’est infiltré, et on en déduit l’arme du crime (une clé USB) et une façon de procéder, de semer le trouble en multipliant avatars et trompes-l’œil. « Les informations volent dans l’air, il suffit de les capter » disait l’associé de Neil McCauley dans Heat. Ici elles sont dans le code source, infrastructure du nouveau monde dont il s’agit de décrypter le flux, et au besoin en « mettant sur écoute » un clavier de la NSA (belle image et savoureuse ironie que ce piratage de « la firme aux grandes oreilles »). Ainsi, de chausse-trappes en embuscades, contre vents balistiques et marées humaines, les enquêteurs remontent le courant du cyclone jusqu’à son œil… vide, évidemment, c’est bien connu.
Pourquoi le cyberterroriste a-t-il fait tout ça ? Juste pour de l’argent. Quelle déception que ce Mabuse réduit à un spéculateur aux faux airs de hippie anarchiste. Mais est-ce vraiment lui qui déçoit ? Ou serait-ce plutôt la vacuité de ces échanges boursiers qui font tourner le monde de vagues spéculatives en creux dépressifs ? Le cybercriminel n’est qu’une idée qui, une fois physiquement incarné, comme un génie enfermé dans sa lampe, perd toute son aura : un petit remous à la surface d’une mer par ailleurs bien agitée, un œil parmi des millions d’autres, une baudruche qui se dégonfle au moindre coup de tournevis (même s’il en faut tout de même un certain nombre). Et sa traque prend alors des airs de celle de Ben Laden dans Zero Dark Thirty où l’on naviguait aussi à vue à la recherche d’une incarnation du « Mal » tapie dans l’ombre, invisible au yeux des satellites, et qui se révélait finalement bien trop humaine pour ne pas décevoir. Aussi, peut-être est-ce en ce sens qu’il faut comprendre les allusions au 11 septembre - qui, autrement, paraissent bien « lourdaudes » et déconnectées du reste du film - : ou le prétexte à la surveillance généralisée de l’internet.
Donc voir, c’est le pouvoir. Mais de sa façon de voir dépend sa façon d’exercer ce pouvoir. Car l’outil-œil peut être utilisé comme une arme (demandez à HAL 9000 ce qu’il en pense…). Dans Manhunter (l’autre Sixième sens), le tueur en série visionnait des home movies, des vidéos de familles, avant d’aller tuer ces mêmes familles. Et Will Graham, le profiler à ses trousses regardait à son tour ces mêmes vidéos pour y trouver des indices le mettant sur sa piste afin de l’arrêter. Dans Blackhat, le regard projeté par le cybercriminel, incarné par cette caméra-œil qui s’insinue partout, est représentatif de sa façon de voir et d’agir sur le monde : comme un vaste marché libre et totalement dérégularisé où l’on peut se servir à un endroit et provoquer une crise de subsistance à un autre, engager un mercenaire libanais en Colombie et abattre des agents du FBI à Hong Kong, faire exploser un réacteur nucléaire chinois et « braquer » une bourse américaine… ; le tout en violant toutes les frontières de quelque nature que ce soit (territoriales, législatives, morales, pare-feux,…). Michael Mann dresse ainsi le portrait d’une époque où la démultiplication des regards portés sur le monde, permise par la démocratisation et la mise en réseau des technologies de communication et d’information, donne à certains individus, multinationales ou agences de renseignements, le pouvoir d’agir sur celui-ci en temps réel, comme bon leur semble, en toute impunité et sans avoir à rendre de comptes à qui que ce soit.
Alors où fuir dans un monde où son propre téléphone dessine une cible sur son front ? Comment se soustraire à ces regards totalitaires dont on ignore même l’origine ?
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De la même façon que l’épilogue de Révélations figeait son image au moment même ou Lowell Bergman sortait d’un portail circulaire, instillant ainsi un doute sur la possibilité de « sortir du système » et sa reconduction, la dernière scène de Blackhat est pour le moins ambigüe quant aux chances réelles de fuite de Nick Hathaway et Chen Lien. Après avoir dévoilé un dispositif de surveillance braqué sur eux (la NSA ?), Michael Mann les fait s’évaporer sous les yeux du spectateur en les montrant se dématérialiser dans le quatrième mur, à la frontière entre le réel et son image. Alors, échappée belle en forme de reboot du système mannien qui, lucide, montrait jusqu’ici que le combat d’un individu contre un système déshumanisé est perdu d’avance (sauf si, comme Ali, on sait danser entre les coups) ? Ou poursuite de la déshumanisation sur le mode de l’effacement et du retour à la case prison, une prison de verre que serait devenu le monde et dont les parois seraient potentiellement chaque objectif de caméra ou de webcam, chaque écran de smartphone ou même de cinéma (cf. Public Enemies) ?
Jean-Baptiste Thoret écrit que « la puissance conceptuelle du cinéma de Michael Mann, sa tendance à l’abstraction, tient […] dans la façon dont ses films trouvent toujours le moyen de convertir ce qu’ils racontent en paradigmes spatiaux et géométriques » . Autrement dit, si Michael Mann faisait partie de l’équipe de Leonardo DiCaprio dans Inception, ce serait l’architecte. Dans Blackhat, cette façon de traduire des idées relatives aux personnages ou à l’intrigue dans l’espace est fréquente. Par exemple, dans la très impressionnante scène de poursuite dans les ruelles de Hong Kong - véritable prouesse technique filmée dans un style run and gun d’une remarquable lisibilité - les poursuivants se retrouvent à un moment donné dans un tunnel tournant sur lui-même, ce qui représente bien l’idée de la traque à l’aveugle dans laquelle se perdent les personnages. Plus tard, lorsque Nick Hathaway et Chen Lien piègent leur adversaire, ils lui donnent rendez-vous dans un immeuble sans façades, et donc sans fenêtres pour réfléchir la lumière (= sans yeux) ; le réalisateur traduisant ainsi la cécité du personnage désormais mis à nu, exposé en pleine lumière.Or, cette façon de traduire de façon concrète des concepts abstraits - qui est l’essence du cinéma de Michael Mann - croise ici l’une des thématiques du film. Cette thématique - illustrée par cette caméra qui ne cesse de traverser des écrans dans un sens ou dans l’autre -, c’est la réversibilité de la frontière entre mondes matériel et immatériel, le principe selon lequel une action dans le virtuel entraîne automatiquement des répercussions dans son interface, le réel, et inversement. Parce que les deux espaces coexistent et dialoguent, l’un étant le reflet, l’écho de l’autre.
Aussi, dans ce contexte, les personnages de Blackhat qui sont en mesure de lire le code sont en quelque sorte dans le secret des dieux, puisqu’ils ont théoriquement le pouvoir de bricoler le tissu même de leur univers. Un peu comme Néo, dans la trilogie Matrix, pouvait changer les règles de la matrice et par là même sa destinée. Comme on modifie le code génétique d’un OGM, Nick Hathaway et Chen Lien sont ainsi en capacité de contrefaire des fragments de leur « code numérique » de façon à passer sous les radars, en mode furtif. De fait, il y a presque quelque chose de cinématographique (pour ne pas dire métafilmique) dans la possibilité qu’offre le réalisateur à ses personnages d’agir sur leur réalité concrète de la même façon que lui le fait dans la conception de ses films : comme des architectes, comme les réalisateurs de leur propre film. Rajeunit, partiellement rebooté par un retour à ses origines - celles de la prison - et désormais accompagné de la femme qu’il aime, le personnage mannien aurait ainsi pour la première fois des outils pour ne plus seulement subir le système qui l’oppresse. Ce qui ne veut pas dire qu’il serait enfin libre pour autant, loin de là.
Il s’apparenterait plutôt à un Ulysse ayant retrouvé Pénélope pour mieux perdre Ithaque et partir à la dérive sur un styx entre deux mondes. Entre l’insider menacé de dissolution et l’outsider exposé aux balles, Nick Hathaway n’a d’autres choix que d’être ce ghostman évoquant les morts peuplant les rêves de Vincent Hanna dans Heat : une image de la condition humaine à l’heure où le monde se dématérialise. Mort-vivant plutôt que mort tout court. Fantôme du système dont la survie tiendrait dans sa capacité à tenir une position critique, un état limite et spectral à la frontière entre l’incarnation et la désincarnation, entre la mise hors-circuit (celle des agents du FBI laissés sur le bord de la route) et la surchauffe (celle de Chen Dawai, désintégré). Une situation hautement mortifère donc, puisqu’à chaque pôle c’est la mort assurée. Voilà pourquoi le reboot reste partiel, parce que, tout en ayant légèrement évolué par rapport à ses ainés, Nick Hathaway reste comme eux : un outcast un pied dans la tombe et incapable de trouver sa place dans la nouvelle cartographie à double fond d’un monde en pleine mutation.
Alors bien sûr, tout ceci reste pure spéculation, et même surinterprétation. Blackat n’est probablement pas le meilleur film de Michael Mann, si tant est qu’il soit possible d’en distinguer un. Il est même par moments un peu maladroit, notamment dans son écriture qui cède parfois à quelques facilités (ex : on fait sortir Nick Hathaway et Chen Lien de la voiture avant de la faire exploser). Et l’anesthésie émotionnelle dans laquelle il s’enfonce progressivement - de façon tout à fait volontaire au demeurant, puisqu’il s’agit de peindre l’humain comme une espèce en voie de disparition -, le rend certainement moins aimable qu’un Miami Vice qui apparaît un peu comme son grand frère plus abouti. Plus gênant : le pur et simple copié-collé de trois morceaux de la BO d’Elysium (étonnant de la part d’un réalisateur habituellement très attentif à ses ambiances musicales, ça n'a d'ailleurs pas beaucoup plu à Harry Gregson Williams).
Pour autant et malgré ses défauts réels mais mineurs, l’intransigeante radicalité de l’objet - véritable œuvre expérimentale dynamitant de l’intérieur sa belle coquille de film d’espionnage ultra-documenté -, sa beauté épurée et l’acuité du regard qu’il porte sur le monde contemporain forcent le respect. Généralement les films de Michael Mann, et surtout les plus récents, sont longs à digérer. Non pas qu’ils soient lourds, c’est même tout le contraire, mais ils constituent des objets à ce point à contretemps des normes des catégories où l’on cherche à les placer qu’il faut du temps pour en apprécier l’importance (ou pas, c’est selon). Bien souvent le temps de comprendre qu’ils sont en avance, le temps de voir la production mainstream leur reprendre quelques idées. Et le pionnier de s’effacer derrière les colons.
Au fond, qu’il traite de gangsters ou de hackers, Michael Mann reste à l’image de ses personnages : un westerner trop attaché à son indépendance pour céder un pouce de terrain sur sa façon de travailler en regardant en face la réalité du monde. Une manière de réalisateur du Nouvel Hollywood échappé de son époque et se refusant à prendre le pli des conventions, ou alors pour mieux les faire imploser. Mais à l’ère du « go big or go extinct » définissant une part croissante de la production hollywoodienne, les lois du box office disent que cette attitude n’est plus tenable. Michael Mann devrait le savoir mieux que personne : on ne braque pas trois fois la même banque…
Sources :
Jean-Baptiste Thoret, Panic, numéro 1 et 5, 2005-2006
Nicolas Lochon, Michael Mann, de l’argentique eu numérique, ou le dernier des hérauts du métafilm, Edilivre, 2012
Michael Henry Wilson, Le Solitaire, livre d’entretiens avec Michael Mann inclus dans la réédition du Solitaire en Blu-ray et DVD, 2015
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Créée
le 6 avr. 2015
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