Une fois le film fini, il me reste une impression bizarre. Des questions sans réponse, ce qui est un comble pour un film sur la foi (la religion étant censée apporter des réponses aux questions).
Hadewijch, c’est Céline, une jeune femme qui cherche à intégrer une communauté religieuse. Puisqu’elle n’a pas encore prononcé ses vœux, elle est encore habillée en civil. Du coup, ça lui donne d’emblée un statut à part, à mi-chemin entre vie civile et religieuse, plus vraiment dans l’une et pas tout à fait dans l’autre.
Tout le film est là : entre religion et vie civile, entre couvent et monde extérieur, Céline ne semble à sa place nulle part. Exclue du couvent car trop extrémiste par sa recherche de la souffrance, on l’envoie se frotter à la réalité. « Il n’est pas nécessaire, pour se rapprocher de Dieu, de se détacher du monde ». Traduction : Dieu n’est pas qu’au couvent, il est partout, et puisque Hadewijch ne veut pas respecter les règles, alors elle cherchera Dieu au milieu des tentations du monde matériel et séculier.
Enfermement et ouverture. Le film joue constamment sur cette alternance. Alors que Céline/Hadewijch sort du couvent, exclue de son enfermement volontaire, David, l’ouvrier, est emprisonné, enfermé contre sa volonté. Mais le monde extérieur n’est pas forcément synonyme d’ouverture : l’enfermement de Céline continue. Le richissime appartement parisien apparaît bien vite comme une version stylée de la cellule. Sans compter l’enfermement social : Céline est de la haute société (société richissime contre laquelle son ascétisme religieux est sans doute dirigé).
A cela s’oppose donc l’ouverture. Ouverture vers les autres, lorsque Céline accepte, sans prévenir, de boire un verre avec trois parfaits inconnus qui l’ont interpellée dans un bar. Ouverture sociale aussi, dans cette scène où elle invite chez elle Yassine, banlieusard voleur de scoot’. Ouverture vers d’autres religions, avec son intérêt pour l’islam.
Mais ouverture en trompe l’œil, car elle va paradoxalement confortée l’enfermement de Céline dans une religiosité envahissante et stérilisante. Céline aime Yassine, mais Hadewijch aime plus que tout le Christ, elle est mariée au Christ.
Elle ne veut que le Christ comme homme dans sa vie. Rapport spirituel qui manque cruellement de charnel. Car, comme il semble en être l’habitude chez Dumont, nous avons ici un film éminemment charnel, sensuel, érotique même, qui ne fait pas l’impasse sur la dimension corporelle de son histoire. Céline est une fille qui désire. Elle désire vraiment, profondément, intensément. Mais le seul homme qu’elle accepte, elle ne peut pas le sentir. Et ça rend le pauvre Yassine tout nerveux (ce personnage de Yassine est très touchant, je l’ai beaucoup aimé).
Cela entraîne un dialogue formidable et passionnant sur le visible et l’invisible. Sujet au centre du film (comme le débat est, à peu près, au centre du film lui-même), tant il semble y être question de ce que l’on peut montrer ou pas, de ce que l’on peut voir et de ce que l’on peut supposer/deviner.
Alors, ce vide, ce gouffre en elle, il s’agit de le combler.
Selon son procédé habituel, Dumont montre. Il ne raconte pas, il n’explique pas, il ne juge pas. Échappant fort heureusement au débat caricatural sur la religion (alors que le cinéaste revendique son athéisme) ou sur le terrorisme, il montre le destin d’un personnage, ne cherchant pas à en faire un symbole, une métaphore ou une généralisation.
C’est la fin qui m’a… je ne sais même pas comment dire. C’est quoi, ce dernier quart d’heure ? Non pas qu’il soit mauvais, ni qu’il ternisse l’ensemble, loin de là.
Au début, je pensais que Céline était morte dans l’explosion. Et alors, c’est quoi cette fin ? Le paradis ? L’enfer ? Le purgatoire ? Peut-être bien le purgatoire, en effet, puisqu’il y est question d’une sorte de rédemption, une tentative de suicide qui se transforme en un baptême paradoxal.
En tout cas, ce final est très beau, poétique. Et rempli de références religieuses, en Jardin d’Eden et l’ouvrier sur son échelle représentant le Christ sur sa croix (avec un beau paradoxe là aussi : ce Christ est interprété par David Dewaele, le même qui tenait le rôle de Satan dans Hors-Satan.
Au final, un film déroutant, mais beau.
[7,5]