Que cela soit pleinement justifié ou du fait d’une simple nostalgie déplacée pour un cinéma à l’ancienne, le reproche du manque de conscience politique dans le cinéma de genre contemporain revient souvent sur le devant de la scène. Celui-ci a été remplacé par quelque chose de beaucoup plus moralisateur, un discours pleinement conscient des problématiques actuelles que la majorité des films se contente de sortir comme on sert la soupe, pour ne surtout pas se mettre le moindre public à dos et éviter la polémique. En bref, se faire tout petit et donc occulter ce qui faisait le sel du bon cinéma horrifique d’antan, à savoir ce fameux esprit subversif tant loué et qui, c’est indéniable, manque cruellement aujourd’hui, à quelques exceptions près. A ce titre, le cinéma de John Carpenter (Big John pour les intimes), était sans doute la quintessence de cet esprit B n’ayant pas oublié le cynisme pour ajouter un peu de chair supplémentaire à ses concepts. Mais pas le cynisme moderne consistant à rire de tout, y compris de soi-même, pour se donner une contenance et espérer faire oublier un vide de la pensée réellement désespérant. Plutôt un cynisme goguenard, au sens de l’observation féroce, permettant de se défouler sur des problématiques sociétales concrètes jamais traitées de façon didactique ou moraliste, en n’oubliant jamais le statut de divertissement de base. Big John dont le cinéma radical, furieux et jouissif nous manque terriblement, lui qui s’est éloigné des affaires depuis un bon bout de temps et assume totalement aujourd’hui de récupérer les chèques qui lui sont alloués pour la perpétuation de la franchise qu’il aura initiée il y a de cela plus de 40 ans, et qui nous intéresse ici.


Les deux précédents n’avaient pas brillé pour leur folle audace scénaristique ou cinématographique. Se contentant pour le premier de servir aux fans ce qu’ils attendaient sans le moindre plan ou la moindre idée qui sortent du lot, le résultat était inodore, certes divertissant (et encore), et doté de quelques meurtres inventifs, mais s’oubliait aussitôt vu. Le deuxième tentait quant à lui des choses, mais souffrait de son aspect transitoire en semblant condamné à semer des idées comme des cailloux, en espérant pouvoir raccorder tout ça, ce qui n’arrivait jamais vraiment, ou alors de façon extrêmement laborieuse, pour retomber au final sur des rails mille fois explorés dans la franchise, avec cette idée du Mal increvable contre lequel il ne sert à rien de lutter, vu qu’il nous rattrapera toujours. Oui mais voilà, il fallait malgré tout conclure toute cette affaire, et qu’on le veuille ou non, si nous avons tenus jusqu’à ce stade de la franchise, c’est que nous sommes mordus. Ce troisième (et dernier) opus de cet arc narratif tenant donc sur 4 films avec le film matriciel de 1978, était donc attendu au tournant, avec la crainte que l’univers déjà fragile de base ne s’écroule définitivement, faute de contenu. Et là, la surprise …


Pour permettre une bonne grille de lecture de l’objet présent, il est inévitable de spoiler l’intrigue, donc si vous n’avez pas encore vu le film, il est préférable de stopper la lecture ici-même et de voir le film avant de poursuivre. On le sait bien, lorsqu’il s’agit de leur compte en banque, les producteurs de cinéma n’ont que peu de scrupules à presser un citron jusqu’à plus soif, quitte à enterrer quelques franchises pour n’avoir pu s’arrêter à temps. La saga Halloween, aussi attachante puisse-t-elle être, n’a jamais fait partie des franchises extensibles à l’infini, du moins dans l’idée. Son idée de base est même particulièrement primaire et s’inscrit dans un genre aussi plaisant que limité dans ses enjeux, comme condamné à répéter les mêmes motifs pour l’éternité, à l’exception de quelques œuvres visionnaires ayant su jouer avec ces codes (ou clichés). Comment expliquer alors que l’on se retrouve aujourd’hui avec 13 films, ce qui en fait la saga la plus longue du genre (du moins concernant des films produits pour le cinéma) ? Tout simplement par cette façon toute serielle de gérer ses multiples arcs narratifs en faisant un véritable casse-tête labyrinthique pour tout relier, et la faisant ressembler au plus retors des multivers. Même quand les scénaristes semblaient avoir un peu trop fumé la moquette en partant dans des directions pour le moins hasardeuses, il y avait toujours ce petit plaisir à suivre le tout. Ce n’était pas bien sérieux, mais on avait fini par accepter la présence éternelle de cet univers et de Michael Myers. C’est pour ça que même lorsqu’elle semblait essorée de toutes parts, l’idée de retrouver les personnages avait toujours ce petit côté rassurant, comme si on enfilait nos pantoufles confortables. Toujours est-il que ce troisième opus a un petit quelque chose en plus, cette petite chose que l’on appelle un point de vue, qui fait la différence entre un petit slasher sans envergure et un film tenu en phase avec les enjeux de son époque, ayant quelque chose à dire sur celle-ci, sans perdre pour autant de vue l’essence de la saga.


Dès la scène d’ouverture, on sait que le film ne sera pas comme les autres. Alors que l’on pense dans un premier temps être bien installé sur des terres déjà bien labourées, un petit sourire de contentement commençant à se dessiner, la scène se conclut non par le meurtre tant attendu, mais par un choc laissant déjà apparaitre ce qui sera le grand thème de ce final, à savoir la contamination du mal, et la paranoïa qu’un traumatisme d’envergure peut faire peser sur une communauté incapable de se remettre et de vivre avec ses démons. Myers ne sera plus cette entité avançant vers ses proies de façon implacable (du moins pas dans un premier temps), mais bel et bien une idée, circulant de manière insidieuse, et infusant dans l’esprit des gens, tel un serpent venimeux. Celle du Mal absolu tapi dans l’ombre, prêt à surgir à tout instant, et dont la simple évocation peut faire naître tout le mal tapi en chacun de nous, révélant les failles de toute une communauté. Cette idée du Mal symbolique, évoquant les démons intérieurs de tout un chacun, n’est pas nouvelle en soi, mais n’avait jamais été traitée aussi littéralement qu’ici dans le genre, le récit se retrouvant pendant une bonne heure délesté de son personnage star, où la violence, lorsqu’elle surgit, ne vient pas de là où on l’attend. Les plus impatients, ou tout simplement les amateurs de bidoche sanguinolente venus là pour avoir leur dose de meurtres énervés en seront pour leurs frais, David Gordon Green n’ayant pas menti lorsqu’il affirmait qu’après le chaos du précédent film, il voulait ici toucher à quelque chose de plus introspectif. Ce qui sonnait comme une déclaration d’auteur voulant un peu faire son malin s’avérait finalement concret, et si l’on a le droit d’être dérouté dans un premier temps par la direction que prend le récit, force est de constater que l’approche était la bonne, tant les personnages y gagnent en réalité palpable, et la saga en renouveau.


On se retrouve ici à suivre des personnages traumatisés, chose rare dans un slasher, d’autant plus à destination du grand public comme ici. Après le spectaculaire, vient le temps des failles humaines, et cela n’a rien de contradictoire avec le genre, au contraire. Car c’est en les inscrivant dans un univers plus tangible, plus proche de nous, que la symbolique à venir en gagne d’autant plus en intensité et que le sous texte en devient réellement passionnant sur ce qu’il a à nous dire de notre époque fortement troublée.


Là où le précédent portait déjà en lui les germes des thématiques du film présent, ces idées tombaient à plat faute d’avoir été introduites avec précision. La traque dans l’hôpital, durant laquelle la foule tombait dans une violence irraisonnée, trouvait une drôle de résonance suite à l’assaut du Capitole mené par les partisans de Donald Trump. Mais malgré son aspect prophétique malgré lui, le film ne parvenait pas à faire quelque chose de concret de cet élément, et la scène donnait réellement l’impression d’être arrivée comme un cheveu sur la soupe. Cette idée du peuple de Haddonfield contaminé par le Mal est menée ici à un niveau de cohérence réellement étonnant, grâce à un équilibre tonal beaucoup plus accompli, de par ce rythme posé donnant le temps de suivre chaque personnage et leur parcours avec un réel intérêt. Que ce soit Laurie, enfin au premier plan comme elle le mérite, ou sa petite fille, ayant également droit à sa partie la révélant dans sa fragile humanité, jusqu’au personnage le plus central de l’intrigue, jeune baby sitter traumatisé par l’accident de la scène d’ouverture, victime de la haine du peuple voulant trouver un responsable pour leurs malheurs. C’est par lui que viendront tous les rebondissements les plus inattendus du film, alors qu’il devient de plus en plus évident que Myers sera un personnage secondaire de ce qui semblait être son histoire à lui et à Laurie. C’est donc par lui que les scénaristes ont décidé de traiter leur concept, et le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont pas eu peur de détruire les bases de la saga pour lui donner la possibilité de peut-être s’en aller vers d’autres rives. Myers, tel qu’on l’envisageait, n’est plus. Ce n’est plus que cette forme telle que désignée dans le générique, tirant sa force de la peur qu’elle inspire chez les gens, et du chaos engendré par celle-ci. Alors qu’il n’est pas à l’image pendant une moitié de film, la violence et les instincts les plus primaires ressurgissent de toutes parts, avec ce besoin aussi humain que pathétique de désigner un , ou des coupables. Que ce soit Corey, le baby sitter, victime de cette peur ayant entrainé la mort du garçon dont il avait la charge, et faisant peser sur le récit sa chape de plomb, ou Laurie, accusée d’avoir provoqué cet homme (Myers), entrainant le déferlement de sauvagerie que l’on connait, la peur entraîne l’incompréhension et la circulation du chaos dans une communauté incapable de se relever ensemble de l’indicible, incapable même de vivre avec cette idée de l’indicible. Et cette peur, cette présence impalpable du Mal symbolique, fait ressortir tous les pires instincts primaires de chacun, dont Corey va être le catalyseur en endossant littéralement le rôle de Myers. Le script va à un moment donné poser via un dialogue la question de la différence entre Mal inné et Mal acquis. Grande problématique concernant les tueurs en série, dont personne n’a encore jamais réussi à se décider sur la nature du Mal. Si Myers incarne ici le Mal inné, inexplicable car non motivé par un raisonnement humain, implacable, avançant tel un animal vers sa proie sans en retirer à priori de contentement autre qu’instinctif, le personnage de Corey, lui, est clairement le symbole de l’esprit pourri par la toxicité environnante, entre son statut dans la société, considéré comme un tueur d’enfant vicelard, donc inadaptable, ne pouvant vivre une potentielle histoire d’amour avec la petite fille de Laurie que cette dernière lui présente ouvertement, et cette violence à laquelle il est exposé de toutes parts, faisant ressortir le pire enfoui en lui. Sa rencontre, là encore, très symbolique dans l’idée et le cheminement, avec Myers, va achever le transfert et transformer la seconde partie du film, retrouvant les règles du slasher de base, mais trouvant donc une autre résonance de par l’inversion des rôles, Myers étant cette entité apprenant à Corey à tuer, et retrouvant par là-même sa force initiale de par la crainte revenant de plus belle dans l’esprit des gens. Dans l’esprit de ceux-ci, c’est Myers le responsable, et le grand affrontement final promis entre Laurie et lui sera lourdement déceptif pour qui attendait un moment furieux et épique.


Cela amènera au dernier thème du film, et pas des moindres, à savoir le principe de lynchage, trouvant sa cohérence en justifiant l’idée de la force surhumaine du Monstre, comme dit plus haut par la crainte qu’il inspire dans l’esprit des gens. Pour en venir définitivement à bout, il ne sert à rien de vouloir le combattre par la force, il faut littéralement le faire disparaitre. Si son corps disparait devant les yeux du peuple, alors l’idée du Mal disparait elle aussi, et le Monstre sous sa forme initiale ne reviendra pas des enfers. Ce n’est plus qu’un homme agonisant lentement, et disparaissant de façon fort troublante pour le spectateur qui ne s’attendait pas à final aussi glaçant. Politiquement radical, trouvant sa force évocatrice et son sens global par rapport à des angoisses très contemporaines, le film, et la trilogie sans doute à posteriori, se placera sans doute avec le temps comme un représentant sérieux de son époque, ayant capté les maux et troubles de celle-ci en faisant sens avec sa propre symbolique et mythologie, clôturant une bonne fois pour toutes de façon satisfaisante cet arc narratif, et ouvrant donc toute possibilité pour d’éventuelles suites, des fois que le film serait un succès qui donnerait quelques idées à un producteur peu scrupuleux. Bien joué, donc.

micktaylor78

Écrit par

Critique lue 385 fois

21
41

D'autres avis sur Halloween Ends

Halloween Ends
Star-Lord09
6

Quelque chose de Stephen King...

Lorsque le profil de Laurie Strode découpe le visage de Corey dans un gros plan serré, David Gordon Green rejoue en miroir l'affiche du Halloween de 2018. L'héroïne est clairement la moitié de son...

le 13 oct. 2022

27 j'aime

68

Halloween Ends
micktaylor78
7

La circulation du Mal

Que cela soit pleinement justifié ou du fait d’une simple nostalgie déplacée pour un cinéma à l’ancienne, le reproche du manque de conscience politique dans le cinéma de genre contemporain revient...

le 13 oct. 2022

21 j'aime

41

Halloween Ends
RedArrow
6

The Shape of Evil

Avec son tueur à nouveau en goguette à Haddonfield quarante ans après ses forfaits, les conséquences traumatiques de la fameuse nuit d'Halloween 1978 sur le clan Strode, à jamais marqué par...

le 12 oct. 2022

20 j'aime

5

Du même critique

Les Chambres rouges
micktaylor78
8

Au plus profond de l'âme humaine

Il se passe quelque chose du côté du cinéma québecois depuis quelque temps. Là où il est toujours tentant de n’envisager ce dernier que sous l’angle de l’accent rigolo légèrement folklorique, et donc...

le 19 janv. 2024

53 j'aime

9

Pleasure
micktaylor78
7

Critique de Pleasure par micktaylor78

Nous arrivant précédé d’une réputation très sulfureuse, ce premier long métrage réalisé par la suédoise Ninja Thyberg, d’après son court du même nom remarqué en 2013, et labellisé Cannes 2020, entend...

le 19 oct. 2021

46 j'aime

13

Baby Driver
micktaylor78
8

L'entertainment classieux dans toute sa splendeur.

On l’attendait avec impatience, ce nouveau film de Edgar Wright, l’homme derrière la « trilogie Cornetto », devenue culte pour une génération de cinéphiles. Il faut dire que cette dernière était en...

le 16 juin 2017

37 j'aime

18