Lorsque le profil de Laurie Strode découpe le visage de Corey dans un gros plan serré, David Gordon Green rejoue en miroir l'affiche du Halloween de 2018. L'héroïne est clairement la moitié de son antagoniste. L'instant est furtif mais d'une incroyable intensité. C'est d'ailleurs dans ce premier volet que Jamie Lee Curtis rejouait son personnage emblématique avant de laisser sa place à Michael Myers pour un second opus entièrement consacré à la mythologie de The Shape. Halloween Ends ouvre à présent les portes de l'héritage du mal en écartant d'emblée ses deux figures antinomiques (mais complémentaires) pour se consacrer à un sang neuf. Corey (Rohan Campbell) et Allyson (Andi Matichak) occupent désormais l'espace du cadre et une partie de la durée du métrage pour un avenir en trompe-l'oeil. D'ailleurs, l'illusion d'optique est telle qu'on pourrait s'interroger sur l'éventuelle disparition de Strode et Myers lors d'une scène inattendue fantasmée par un public coutumier de la mise à mort de ses icônes. Il n'en sera rien. Tout semble désormais possible avec cet étonnant crochet narratif jeuniste. Surprenant à plus d'un titre, le film de Gordon Green se joue du spectateur en adressant tout son soutient à la nouvelle génération mais en gardant un oeil sur ses vétérans qui ne demandent qu'à s'empoigner pour une dernière valse. Mais Halloween Ends se veut entre les mains de son artisan, un pur objet qui se mérite.
Et pour s'écarter des codes de la franchise tout en conservant son ADN, le réalisateur de Stronger va non seulement mettre en avant un nouveau cast mais aussi oeuvrer dans le drame "Young adult" en décélérant les actes barbares du slasher. Corey et Allyson prendront le temps de se connaitre et d'échanger avant un éventuel premier baiser. Mais en 2022, on ne fait plus l'amour à sexe déployé. Corey garde en son sein le secret de l'héritage du mal. Ce mal censé lui faire reprendre confiance en lui et le guérir de son impuissance au sens propre. Le geste en est presque insolent à un stade aussi avancé de l'histoire. Le projet se montre alors sous un nouveau jour. David Gordon Green refuse catégoriquement de livrer son film clefs en main. Ni réellement brutal, ni atmosphérique, cet Halloween se met à hauteur des habitants d'Haddonfield en jouant l'étrange note de la décrépitude sociale. Les rumeurs et invectives enflamment les rues alors que Myers recouvre difficilement ses forces en sous-sol. S'il existait bien le reflet de Frankenstein de Mary Shelley au travers de Myers dans Kills, le portrait de Haddonfield dans Ends est celui de L'Amérique de Stephen King. Les abords de la petite ville laissés à l'abandon mais occupés par un SDF trop curieux, les trains de marchandises traversant les espaces ruraux, l'usine sidérurgique, les monstres tapis en sous-sol, les parents abusifs...Rien ne pourra détourner ce nouveau segment de son ancrage de L'Amérique profonde et de ses tourments enfouis portant les fantômes de Stand by me, Ça et bien d'autres. Halloween Ends en a donc fini avec la classe moyenne et se tourne vers le portrait d'un environnement ouvrier plus à même de parler d'une époque morne mais chargée de souvenirs.
La prise de risque d'une telle reformulation des règles impliquent une addition salée à celui où celle contenu dans les carcans de la saga. Et sans aller jusqu'à la rupture, Halloween Ends se sépare de son essence folklorique. Les jardins, chichement décorés ne manifestent plus l'envie de festoyer. On ne célèbre plus la fête du massacre. Haddonfield n'est plus la ville de Salem brossée par Carpenter où la géométrie dans l'espace faisait la part belle aux angles acérés du mobilier urbain et des objets du quotidien contenus dans la sphère privée. Gordon Green arrondit les angles de manière métaphorique pour contourner les usages de la saga. Les cylindres des conduits souterrains, les escaliers en arrondi, les astres donneront la nouvelle marche visuelle à suivre. Halloween Ends s'offre une nouvelle peau et sous son derme épais, affiche des arguments propres à être autant acceptés que réfutés. Laurie Strode, presque atone en accepterait presque son destin, refusant de vivre dans cette peur qui la tenaille depuis des décennies. Ainsi, aussi intransigeante soit ça nouvelle approche, les thématiques ont l'air d'être placardées aux quatre coins de la ville ou affichées sur le front de ses protagonistes telles des enseignes lumineuses. S'il fallait se poser un nombre de questions quant aux assassinats d'un couple gay et interracial et de la folie furieuse de la population lors d'un second opus sauvage et foutrement en phase avec son époque, on assiste, ici, médusé au déroulé de toutes les intentions du réalisateur enfermé dans un programme de transmission du mal. La lutte générationnelle qui s'ensuit réinstaure l'ordre morale d'un film qui ne sait plus quelles voies lui sied le mieux. Faut-il revenir aux fondamentaux ? Continuer de travailler l'identité de la saga ? Conclure dignement ? Tout cela à la fois ? Et le spectateur d'assister au tassement final de scènes très largement hurlées en amont. En conclusion, une semi-déception mais pouvait-il en être autrement au regard de la charge créative allouée à un réalisateur qui aura su, malgré tout, matérialiser nos peurs du XXIème siècle.