On pourrait penser que dans la succession des adaptations d’un grand classique, l’éloignement dans le temps par rapport à l’original tend à accroître les libertés ou les audaces. Tout ayant été dit ou fait, il faut bien trouver un nouvel angle d’attaque et apporter du sang neuf, à l’instar du Hamlet 2000 qui délocalise à New York et au vingtième siècle l’intrigue de Shakespeare.
C’est pourtant dans un film de 1920 qu’on trouve un important pas de côté, annoncé avec fierté dès le carton inaugural, qui cite Voltaire ou Goethe, excusez du peu, fustigeant la version shakespearienne de la légende initiale, et se propose d’en explorer une autre théorie de la fin du XIXème. Dans celle-ci, Hamlet aurait en réalité été une femme, travestie en homme dès son plus jeune âge pour pouvoir, en toute légitimité, hériter du trône du Danemark.
Le célèbre déchirement psychologique du personnage se voit éclairé sous un nouveau jour : l’incapacité à agir et l’attraction/répulsion envers Ophélie s’enrichissent d’autres clés de compréhension. Porté par l’actrice danoise Asta Nielsen, qui monta sa propre société de production pour pouvoir financer le film, le projet permet d’enrichir de par son interprétation à l’écran l’interprétation d’un des grands mystères du théâtre. Le jeu de la comédienne est en effet assez fascinant, puisqu’elle enrichit d’une féminité occultée un personnage qui doit à la fois faire face à ses démons (ici, son secret amour pour Horatio) et toute l’intrigue régicide habituelle.
La folie est donc évoquée explicitement comme une stratégie et l’on ne nous gratifiera même pas du monologue « To be or not to be », dans un récit saturé de coupes – mais l’état actuel de la copie laisse entendre que la version originale était bien plus développée.
Esthétiquement, le film reste assez traditionnel à l’exception de quelques jolies scènes mettant en valeur les soubassements du château, sa minéralité sombre, notamment lorsque Claudius va chercher le serpent qui permettra le meurtre de son frère. Pour le reste, on table surtout sur les mouvements de foule (comme les émeutes organisées par Laërte) et une certaine diversité dans les mises à mort, puisque Claudius sera enfumé vivant dans l’incendie volontaire organisé par Hamlet, avant que Gertrude ne décide elle-même d’empoisonner son propre fils, mais ne boive par erreur dans le verre qui lui était destiné. La résolution de l’intrigue, relativement similaire (un bain de sang, donc), se double de la découverte de la féminité d’Hamlet par Horatio, qui peut donc l’aimer sans tous les sous-entendus homosexuels qui régissaient leur ambiguë amitié jusqu’alors.
Une façon de résoudre, à la lumière et dans la décence, les complexités assez originales de cette version à la marge du mythe traditionnel.
(6.5/10)