Quelle déception pour un premier Takeshi Kitano, réalisateur devenu mythique, encensé par la critique, Cannes et les cinéphiles. Cinéaste réputé exigeant mais aussi captivant, artiste multi-cartes emblématique du Japon il attire et intrigue. Hana-Bi qui bénéficie d’un apriori plus que flatteur est pourtant un échec, quand bien même on simulerait le plaisir devant ce film pour avoir l’air totalement « in ».

Vraiment c’est incompréhensible, ce film est absolument impossible à regarder dans sa première partie tant il endort le spectateur le mieux armé contre le sommeil. Le gros, le très gros défaut tient surtout dans la trame narrative que choisit Kitano et qui alterne des petites scènes sans lien entre elles et des personnages qu’on ne nous présente pas et qui n’ont rien à faire dans cette histoire. On alterne flashs-back et flashs-forward sans aucun point de repère, Kitano nous égare sans arrêt et comme on ne s’intéresse pas à l’histoire, on n’essaie même pas de se raccrocher à ce qu’on a sous les yeux.

Parlons-en de l’histoire, il n’y en a pas, du moins pas beaucoup, du moins pas dans la première partie. Dans celle-là il ne parle de rien, ne raconte rien, des flics parlent de leur famille, boivent des coups et passent un temps infini à ce taire. Finalement, c’est à partir de la scène du casse qu’un semblant d’intérêt fini par naître, à partir de là Kitano se contente de deux « histoires » parallèles, d’un côté celle de son collègue paralysé qui prend goût peu à peu à la peinture, de l’autre celle de Nishi qui emmène sa femme malade à la découverte du monde qui les entoure. Il y a ici une chronologie, de la poésie, des destins qui se jouent et surtout des dialogues cohérents.

Le vrai problème de ce film c’est peut-être Kitano lui-même, aussi bien devant que derrière la caméra. Derrière c’est évident qu’il sait filmer, très bien même. Certaines scènes sont superbes et posent une ambiance qui ne semble pas du tout frelatée. Son vrai problème est qu’il ne sait pas les mettre dans l’ordre, ou alors c’est son monteur qui s’est égaré en route. Kitano devant la caméra n’est pas mieux, il ne joue pas, pas un instant. Son jeu est monobloc et sans aucune nuance, c’est vrai qu’il interprète un homme brisé mais tout de même, cela n’empêche pas de faire un effort dans la gestuelle ou même dans les regards, mais c’est vrai qu’avec des lunettes de soleil ça reste compliqué.

Outre la mise en scène qui reste parfois superbe, son film bénéficie d’une bande originale absolument splendide qui vient raviver les couleurs de certaines des plus jolies scènes d’extérieur. On n’est pas forcément dans la musique totalement japanisante, cette musique a un côté universel par sa beauté. Mais ça reste une bien maigre consolation à laquelle vient s’ajouter peut-être l’énigmatique « bruit » final qui laisse en tête un mélange de points de suspension et de points d’interrogation. Il faut reconnaître à Kitano cette qualité importante de ne pas tout dire à son spectateur, de ne pas répondre à toutes ses questions.

Quel dommage, quelle frustration tout de même de passer à ce point à côté d’un film qu’on dit chef-d’œuvre, de ne pas comprendre un seul instant ce qui peut lui valoir une telle moyenne. On sent que Kitano est un grand capable du meilleur. Mais ici il se prend la tête et la nôtre avec, à force de vouloir briser le fameux triptyque : unité de lieu, unité de temps, unité d’action il en ressort une œuvre qui semble avoir été passée au mixer, une histoire qui, quand elle existe, n’a ni queue ni tête. Peut-être faut-il lui accorder le droit à l’échec, peut-être faut-il aller trainer du côté de l’Eté de Kikujiro et se convaincre qu’aimer certains films impose d’en détester d’autres…
Jambalaya
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le 10 juin 2013

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Jambalaya

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