Kitano qui rit, Takeshi qui pleure.


Comment expliquer le plaisir de retrouver les personnages de ce film, après quelques années d'éloignement ?



Hana-bi tient et tiendra toujours une place particulière dans ma cinéphilie.
Il a été mon premier film japonais, celui qui a fait que je me suis intéressé au cinéma asiatique dans son ensemble.
Le revoir après avoir parcouru des milliers de kilomètres dans l'imaginaire de ce pays grâce à Kitano mais aussi à Ozu, Mizoguchi, Miyazaki et consorts m'a rappelée combien et pourquoi cette oeuvre m'a marquée si fort.


A la fois burlesque et violent, poétique et contemplatif, Hana-Bi est pour moi l'oeuvre la plus complète du maître nippon. Celle qui résume à elle seule toutes les facettes de son travail. Son film somme en somme !
J'ai découvert l'univers de Takeshi Kitano (et par là du cinéma japonais) grâce au film précédent Hana-Bi, Kids Return dans lequel il critiquait déjà sans prendre de gants la société japonaise. Il m'a donné la curiosité de continuer la découverte.
Avec le personnage de Nishi, les adolescents qui n'arrivaient pas à devenir hommes dans son précédent opus, sont ici des adultes qui veulent retrouver l'enfance. Les yakuzas deviennent des caïds de cour de récré. Paradoxalement, le jeu y est nettement plus présent que dons son film plus "sage" et entièrement dédié au sujet L'été de Kikujiro. Ce qui prime dans cette oeuvre, ce sont les états d'âme d'êtres cruels et mauvais qui n'y croient plus, qu ne peuvent plus aller de l'avant et continuer.
La mort est un personnage omniprésent ici. Celles de jeunes policiers, de la femme de Nishi, de sa fille unique...
Kitano San est un mort en sursis. Il ne parle plus respire à peine et n'a plus la force de continuer à vivre. Le sujet du film est de trouver la capacité de se réveiller pour être apte à accueillir la mort en lui faisant face comme il se doit. Comme un samouraï de l'époque classique. Quand Nishi lâche son coéquipier pour courir au chevet de sa femme condamnée, il enclenchera le processus de culpabilité qui lui sera fatal. Le monde des Yakuzas va lui ouvrir ses portes et lui montrera une facette insoupçonnée de sa personne. Il prend acte de la violence et en fait un instrument de création.


Pour réparer son manquement auprès de son collègue Horibe, Nishi va lui offrir la possibilité d'une reconversion en lui permettant de s'exprimer au travers d'un art pictural fantastique. Les toiles peintes par Horibe (composées et crées par Kitano lui-même) parsèment le film de plans fixes sur des toiles somptueuses, fantastiques à tendance suicidaire. Le metteur en scène parle de sa propre expérience qui a suivi son accident qui l'a laissé paralysé et défiguré. Preuve que l'art est considéré par le réalisateur comme un lien indissoluble entre la vie et la mort.
Sous sa sobriété, la beauté de ses plans, le calme apparent des personnages se cachent une violence sourde, un bouillonnement de colère.
S'appuyant sur les codes du polar, il ne les reprend que pour mieux les détourner.
Offrant au spectateur de sublimes scènes d'action, Kitano l'emmène à s'intéresser au plus près au destin personnel de cet homme en perdition.


Libéré de toute contrainte, le couple se laisse aller aux joies simples de la vie et magnifie ainsi de manière troublante le quotidien et l'Etre ensemble. Il veut la voir rire. L'épisode du jeu de cartes, tellement anodin en apparence et riche de sens sur les sentiments qui lient les deux époux, leur priorités réciproques et leur complicité inébranlable. La drôlerie de la scène et sa portée sont inoubliables car même s'il nous préserve du trop plein émotionnel, on la sent sincère et présente. Une sorte de pudeur qui protégerait son plus beau cadeau.


Ce qui pourrait sembler un acte désespéré et dénué de sens devient le plus grand cri d'amour jamais poussé.

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le 30 mars 2015

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Rawi

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