C’est sur un monde dépourvu de langage que s’ouvre Hana-Bi. Mutique et angélique, Kitano contemple avec la résignation d’un mort vivant ceux qui s’échinent à encore ruer dans les brancards : petites frappes, yakusas, créanciers, médecins, collègues.


Le monde est un charnier, au fond duquel gisent des morts qui refusent de pourrir pour pouvoir se dissoudre dans la terre, témoins d’un temps où la vie avait du sens, parce qu’on était père, parce qu’on était partenaire. Un charnier dans lequel se débattent ceux qui sont lentement happés par ses sables mouvants, malades, infirmes et dépressifs.


Le ténébreux, le veuf, l’inconsolé laisse les autres parler pour lui. Initié à la grande noirceur de la vérité, il prépare patiemment sa sortie. Sur son parcours, des obstacles : ceux du passé, qui ressurgit sous la même chape de silence, corps criblés de balles et carnage feutré. Ceux du présent, qui font de lui un paria pour la police qu’il a quittée et le monde du crime qu’il fracasse avec calme.


Récit kaléidoscopique, Hana-Bi (« Feux d’artifice ») fait le pari d’ébauches de beauté avant l’adieu au monde. Dans une atmosphère parfois proche de Tati, des scénettes muettes répondent à la course vers le pire. Un jeu de cartes où l’on triche avec malice, une photographie dont le retardateur se déclenche au mauvais moment : les erreurs de la vie se poursuivent, mais on prend le parti d’en sourire ; de son côté, le collègue infirme, ivre de solitude, fait d’une épiphanie florale un rideau à tirer sur le monde. Avec la patience et l’humilité de l’artisan, points par points, il peint le monde sur lequel la dernière couleur sera celle de sa dispersion sanglante.


Porté par la musique de Hisaishi la plus mélancolique que le Japon puisse générer, la course s’organise. L’étau se resserre en même temps que se déploient les paysages. La conscience s’accroit à mesure que l’évidence s’affirme. Elle arrose des fleurs mortes, il mitraille à tout va, et la danse macabre enroule en sa torsion précipitation et lenteur sereine.


Haiku visuel, avare de mots, dense de toute la beauté triste du monde, Hana-Bi porte le lyrisme aux cimes d’une délicatesse insoupçonnée. Éclabousse l’écran de sang et de peinture, révèle la beauté d’un sourire muet, et fait d’un cerf-volant déchiré une réconciliation avec le deuil en même temps qu’un départ vers les rivages inconnus de l’ultime départ.

Sergent_Pepper
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Plastique et formaliste, Psychologique, Policier, Fuite du temps et Violence

Créée

le 18 avr. 2015

Critique lue 4.7K fois

206 j'aime

15 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 4.7K fois

206
15

D'autres avis sur Hana-bi

Hana-bi
real_folk_blues
10

Dirty arigato

Une musique composée de cordes enjouées, planante et tournée vers les nuages. Puis deux visages ahuris et du bitume face au portrait craché d'un homme en deuil. Un coup de serpillère imbibée violent...

le 28 juin 2012

176 j'aime

40

Hana-bi
Ze_Big_Nowhere
9

Feu d'artifice

Hana-Bi c'est... Un poème. Une poésie tragique. C'est une ballade désenchantée vers le gouffre. C'est cette violence sans fard qui éclabousse de rouge les visages et les toiles. C'est cette...

le 1 sept. 2013

110 j'aime

15

Hana-bi
Rawi
10

Kitano qui rit, Takeshi qui pleure.

Comment expliquer le plaisir de retrouver les personnages de ce film, après quelques années d'éloignement ? Hana-bi tient et tiendra toujours une place particulière dans ma cinéphilie. Il a été mon...

Par

le 30 mars 2015

80 j'aime

11

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53