S'il y a bien une thématique que je trouve difficile à traiter, au cinéma comme ailleurs, c'est bien celle du harcèlement scolaire. Une des raisons en est qu'elle ramène toujours cette sempiternelle question : à qui la faute ? La plus belle "réponse" (ou plutôt la non-réponse, c'est selon) est peut-être celle de Gus Van Sant dans son Elephant : c'est la faute de tout le monde et de personne à la fois. Hisayasu Sato, réalisateur du très étrange et génial Naked Blood, ne propose pas une autre réponse, mais retourne carrément la question : qui est harcelé ?
Car dans Hana Dama, le harcèlement est partout. A l'école, bien sûr, où l'héroïne principale (Mizuki) est la source de moqueries et de violences physiques. Le groupe de "bourreaux" qui en est responsable a l'originalité d'être traité comme une troupe de théâtre : chacun s'avance vers la caméra où se trouve Mizuki, sort sa réplique puis se retranche dans l'arrière scène (imaginaire, bien sûr). Sato, par ce parti-pris très singulier, pointe bien du doigt le rôle artificiel que chacun de ces bourreaux s'assignent à eux-mêmes, les tournant presque en ridicule tout en explicitant le fait que chacun d'eux n'est qu'un acteur qui une fois sorti de l'école redeviendra "qui il est vraiment".
Mais le harcèlement est aussi dans la cellule familiale ! La famille de Mizuki, une mère névrosée (très caricaturale par moment : Sato a un peu de mal à doser les comportements de ses personnages) et un père qui la harcèle, n'est qu'un écho des violences qu'elle subit dans son quotidien scolaire. Dans sa chambre, Mizuki s'auto-mutile avec un mégot allumé, qui est en quelque sorte son seul moment de répit. Ce thème de l'auto-mutilation est omniprésent dans l'oeuvre de Sato, qui n'hésite pas à le traiter par des gros plans épidermiques : loin d'être complaisant, ce procédé de mise en scène sert avant tout à retranscrire cette sensation de "souffrance apaisante" chez les adolescents qui se mutilent, si difficile à appréhender.
Enfin, le harcèlement est aussi loin de tout regard, là où on s'y attend le moins : dans le monde des éducateurs. Les personnages du prof de sport et celui du directeur n'hésitent en effet pas à abuser de leur position pour harceler directement les élèves, en toute connaissance de cause. Le film ne se montre malheureusement pas très fin de ce point de vue là, alors que justement cette idée est extrêmement intéressante : et si les plus gros harceleurs étaient ceux-là mêmes qui sont censés prévenir le harcèlement ?
Et puis vient la dernière partie du film. Faisant rupture complet avec la vraisemblance du reste, Sato s'autorise un détour poétique et gore comme il en a le secret. La sculpture au centre du film (une sorte de fleur/vulve) crée un inversement des rôles : Mizuki devient celle qui harcèle, et la situation se retourne contre l'une des bourreaux. Mais c'est plus globalement un retour à la bestialité primaire qui s'opère : le vernis social se brise, et la salle de classe se transforme en une immense orgie où les giclées de sang se font nombreuses. Le blanc dominant pendant la première partie du film se transforme en un rouge (teinté de rose et de jaune à certains moments) qui dévore le cadre.
Bref, la violence sous-jacente déborde, et les tabous de bien-séance de la société japonaise (on ne soulignera jamais assez que le confucianisme est toujours présent dans le Japon contemporain !) éclatent. Cet éclatement et ce débordement se retrouvent dans la mise en scène et la matière même du film : le cadre déborde jusqu'à littéralement imploser. Mais aussi, Sato nous montre qu'entre l'harceleur et l'harcelé, la débauchée et la prude, le calme et le colérique, il n'y a qu'une fine couche qui se nomme le vernis social. Hana Dama est une oeuvre très inégale, à la symbolique alambiquée (parfois inutilement), mais qui soulève des questions avec une grande pertinence et une singularité propre à Hisayasu Sato.