Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, Hannah Arendt n’est pas un biopic. Comme la plupart des films sur des icônes récents, le film se concentre sur un moment de la vie de l’icône. Exactement comme cela s’est déroulé avec Marilyn Monroe, John Edgar Hoover ou Margaret Tatcher en 2012. Et c’est là l’un des exercices les plus difficiles : réussir à transmettre au spectateur intégralement l’esprit, le caractère et le pourquoi des actions du personnage filmé.

Le plus compliqué, donc, c’est de montrer qui est l’icône à travers une période très courte de sa vie (même pas dix ans s’écoulent dans le film). En choisissant la période du procès d’Adolf Eichmann, ancien SS, Margarethe Von Trotta aurait pu nous faire suivre l’affaire via les coulisses du tribunal, ainsi que le blabla interne au tribunal. Mais tout cela (incluant des images d’archives où apparaît Eichmann) sera radié par la réalisatrice. Elle préfère parler de l’impact de cette affaire et des pensées sur cette affaire. D’où l’apparition de Hannah Arendt, philosophe juive allemande.

Margarethe Von Trotta nous livre avec ce film un vrai hymne à la pensée. Ce film se révèle être un thriller intellectuel où plusieurs personnes se donnent à coeur joie d’essayer de détruire les pensées et les actes fes opposants. Et le long monologue de fin en est la preuve directe : Hannah Arendt sait très bien qu’elle ne réussira pas à convaincre ses confrères mais elle veut persuader et éclaircir les esprits des futures générations. D’où l’intégration dans le film que Hannah Arendt fut professeur.

Mais de là vient un grand problème pour le film. Cet hymne à la pensée, aussi appréciable soit-il, empêche de facto la construction même de la pensée. Margarethe Von Trotta nous livre une lutte des esprits sans jamais nous expliquer le pourquoi du comment de chacune des pensées. Ce n’est qu’au monologue de fin que l’on nous dit pourquoi Hannah Arendt pense cela. Alors que tout au long du film, nous assistons à la mise en place de la violence.

Ce qui amène la réalisatrice à placer l’affaire Eichmann et les articles de Hannah Arendt au centre de l’intrigue. Jamais on ne se concentrera sur le personnage même et sur son esprit. Ce n’est pas en montrant quelques parts de l’intimité de Hannah Arendt qu’on va savoir ce qu’elle pense. Bien que l’actrice Barbara Sukowa ressort du film impressionnante, le film reste d’un académisme fou tant il survole tout ce dont il est supposé nous parler. Tout n’est pas une leçon de théorie politique (on aura quelques scènes vachement pédagogiques), mais on a surtout le droit à une plaidorie sur des justifications à donner.

Le vrai plus de ce film, c’est que Margarethe Von Trotta va créer un contraste entre ses personnages. Pas ce sur quoi ils pensent, c’est trop rapide pour convaincre pleinement, mais sur leur appartenance idéologique. On a une Hannah Arendt qui prend ses distances et essaie de « comprendre ». De l’autre côté, nous avons des lecteurs, des collègues et des amis qui s’incluent dans le système et ne cherchent pas à « comprendre ». Pour ces personnages secondaires, la vérité et le jugement sonnent comme des évidences. Et c’est en cela que le film est très actuel. Car ce schéma reste moderne, et pas seulement dans la politique. Ce film nous fait poser un petit regard (pas assez abouti) sur la manière de regarder une personne qui va contre la pensée commune.

Jamais, avant la fin, le personnage de Margarethe Von Trotta ne dira ou sous-entendra que le pire mal est celui engendré par les personnes qui ne pensent pas sans motifs réels. Elle est clairement pour le libre arbitre, mais la réalisatrice est trop occupée à dérouler les justifications sur les articles pour penser à approfondir cela. Bien que nous avons ici un film très humain (elle citera souvent la « médiocrité » d’un homme pour décrire son mal), il reste très loin des espérances d’un éloge à l’indépendance.

De plus, l’académisme du film ne s’arrête pas là. La réalisatrice Margarethe Von Trotta ne fera jamais dans l’excès formal. Lors du procès, elle mélangera les images d’archives et les scènes avec son actrice. Un mélange dont on a du mal à y croire une seule seconde. Elle devrait appeler Pablo Larrain et regarder son récent No pour apprendre à faire cela. Ensuite, aucune prise de risque n’est à signaler. Tout est propre, et même trop propre. A tel point que la réalisatrice s’enlise dans la mise en scène quelconque où aucune créativité ne point le bout de son nez. Lumière et photographie classique, même les costumes peuvent faire interroger le spectateur tant on pourrait se croire en 2013. Mais nous ne sommes pas à un point où le film est irregardable, bien au contraire. C’est plaisant, mais sans plus.

Finalement, Hannah Arendt est un film pas assez abouti sur comment regarder une personne qui va contre la pensée commune, c’est une plaidoirie sur des justifications à une pensée. Le personnage de Hannah Arendt filmé provoque un hymne à la pensée dont l’affaire est le centre de l’intrigue, oubliant totalement la construction de la pensée de ses personnages. Avec une mise en scène très académique et presque survolé, le film s’enlise dans ces faux biopic récents où on préfère montrer un court moment de la vie de l’icône.

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Auteur : Teddy
LeBlogDuCinéma
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le 9 mai 2013

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