"Hannah Arendt" n'est pas un biopic sur Hannah Arendt. C'est une tranche de la vie et de la pensée de la grande philosophe qu'est Hannah Arendt. Grande car, qu'on l'admire ou qu'on la rejette, qu'on l'acclame ou qu'on la dénigre, Hannah Arendt a non seulement été d'une importance significative de son époque, mais l'est encore aujourd'hui. Ce n'est ni un argument ni une interprétation, mais tout simplement un fait. Ce film porte sur la naissance du concept de "banalité du mal", qu'Arendt a identifié en étant témoin du procès d'Adolf Eichmann en 61. Quatre ans sont couverts, de la préparation du procès où Arendt obtient du New Yorker de couvrir l'évènement jusqu'à la publication de son livre intitulé Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal.
La réalisatrice Margarethe von Trotta capture très bien la naissance de ce concept, son affirmation dans l'esprit de la philosophe, son rejet par les détracteurs d'Arendt (amis ou ennemis), sa défense, mais surtout son sens. Le film pourrait être qualifié de didactique, car la pensée de la philosophe est très bien restituée et expliquée, et par dessus tout, elle est respectée par sa clarté, sa nuance et son équilibre. Le film pourrait apparaître comme étant manichéen, avec d'une part les critiques virulentes et d'autre part les acclamations (voire adorations) d'étudiants ébahis devant leur prestigieuse maître de conférence. Il n'en est rien. Tout comme Hannah Arendt défendait l'existence d'une troisième solution, le film est nuancé. Nuancé par une réalisation solide, avec un rythme établi dès le début et maintenu tout au long du film. On suit le tracé de la pensée de la philosophe dans son esprit à travers des plans où on la trouve seule, réfléchissant, fumant, contemplant. Pensant. On la retrouve seule, car seule elle arrive alors à articuler cette pensée à cette époque, même si cela lui coûte des amitiés de longue date.
Le film est ouvert à la libre interprétation de chacun. Il ne montre pas une version idéalisée de la pensée d'Hannah Arendt. Il ne l'érige pas en figure héroïque, seule contre tous et luttant pour ses idées, de même qu'il ne la montre pas comme étant purement et simplement arrogante et dénuée d'émotions, comme ses détracteurs la qualifiaient. C'est un film juste, sûr, posé, établissant des faits, avec une structure claire et adéquate pour une telle narration. Le film est intéressant et reste dans la nuance tout le long. Si certains pourraient dire qu'il n'apporte rien dans le sens qu'il n'apporte pas une vision neuve sur la pensée d'Arendt, son but est avant tout de capturer une pensée unique ainsi que la multitude de conséquences qui lui sont attachées. Ce n'est pas chose aisée, et la réalisatrice, aidée d'une actrice principale (Barbara Sukowa) extrêmement convaincante, y arrive très bien.
Je recommande ce film à tous ceux qui ne connaissent Hannah Arendt que de nom ou alors qui ont entendu son concept de "banalité du mal" entre deux conversations avec son/sa voisin(e) en cours de philosophie au lycée. Vous aurez une vision claire de sa pensée (à approfondir à côté en lisant, ceci reste un film, pas un cours de philosophie ni un livre) qui est importante non pas qu'en philosophie, mais en histoire, politique et sciences sociales également. Être d'accord ou pas avec elle est, cependant, une autre histoire et un autre débat.