Trois ans après le magnifique Chungking Express, Wong Kar-Wai réalise Happy Together en traitant une nouvelle fois son thème de prémonition : le sentiment amoureux. Nous suivons alors Lai (incarné par l'excellent Tony Leung, l'acteur fétiche de WKW que l'on retrouvera dans In The Mood For Love en 2000) nous guidant par sa voix OFF à travers les méandres de son histoire d'amour plus que complexe avec Ho (incarné par le non moins brillant Leslie Cheung, déjà présent dans Nos Années Sauvages en 1990).
Le film commence dans un noir en blanc somptueux en posant la relation entre les deux personnages errant dans un environnement urbain et s'aimant dans une pièce exigu : véritable programmation du reste du film. La voix de Lai nous apprend que les deux protagonistes ont quittés Hong-Kong pour l'Argentine, guidés par la phrase de Ho qui sera le leitmotiv du film : "Repartir à zéro". Après une ellipse des plus poétique en plan aérien au-dessus des chutes d'eau d'Iguazu nous offrant notre premier contact avec la couleur dans le film, nous retrouvons Lai qui, après s'être séparé de Ho, s'installe à Buenos Aires, capitale qui va devenir le troisième personnage principal de ce film. Nous assistons alors aux retrouvailles entre Ho et Lai dans le restaurant pour lequel travaille ce dernier, le film peut désormais commencer.
WKW dépeint tout au long du film un amour passionnel, charnel, fougueux mais impossible en exploitant tous les outils cinématographiques à sa disposition et avec une caméra aussi libre et impulsive que les émotions des personnages. En effet, ces personnages s'aiment et se détestent mais jamais au même moment, WKW nous le montre d'ailleurs en un seul CUT avec d'abord un plan montrant Lai observant Ho en train de dormir le soir puis "CUT", même plan, mais c'est au tour de Ho d'observer Lai en train de dormir au petit matin. Cette esthétique très riche, avec cette photographie très colorée, voir saturée, et ses mouvements de caméra aussi libres que millimétrés, magnifient ces deux acteurs bouleversants. WKW sublime ses acteurs autant que l'espace dans lequel ils évoluent, à savoir Buenos Aires, qui devient un personnage à part entière et bien-sûr omniprésent à travers ses différents décors que ce soit ses appartements insalubres et exigus, ses rues scintillantes de nuit, ses toits baignés de la lumière jaune du soleil ou encore ses bars à tango peuplés d'hommes et de femmes aussi tristes que joyeux. L'effervescence des personnages est donc doublée de celle de la ville et montrée de manière tout aussi dynamique par la réalisation de WKW et son montage très CUT. Ce dynamisme et cette effervescence sont également créés par la construction du récit. En effet, WKW nous perd à travers ce récit éclaté dans lequel les seules scènes d'amour sont de magnifiques moments hors du temps comme la scène d'amour en noir et blanc au début du film ou encore le tango dans la cuisine. Mais nous sommes tout de même guidé tout au long du film par la voix OFF de Lai qui donne alors à l'effervescence de ces séquences d'apparence décousues un aspect profondément mélancolique.
Happy Together émeut et laisse également beaucoup de sensations : de chaleur, d'effervescence, de fougue, de tristesse ainsi qu'une profonde mélancolie soutenue par ce tango lancinant ou cette guitare électrique très atmosphérique. Mais cette histoire se termine tout de même sur une note d'espoir. En effet, le film apparait comme une succession de flashs d'une période de la vie de Lai qui effectue alors un bilan sur cette relation amoureuse avec Ho lui permettant d'aller de l'avant, de "repartir à zéro", sur la musique des Turtles qui donne son nom au film.