Hard Candy
6.6
Hard Candy

Film de David Slade (2006)

Il n'est pas simple de juger un film qui utilise le contraste pour que le spectateur prenne conscience de la réalité du débat qui anime un scénario. Hard Candy est dans la même lignée que Mysterious Skin, il se laisse bercer par une douce folie euphorisante qui noie le poisson dans l'eau et traite le sujet de manière impudique, voire complètement exagérée par moment pour transgresser le dégoût apparent et le traiter de façon décomplexée. En soumettant le spectateur à un spectacle déblayé et franc, David Slade prend le parti de saisir directement l'idée globale d'une telle déviance et de l’assujettir afin de la rendre compréhensible, efficace et extraite du réel pour en faire une sorte de sujet d'étude. Ainsi, Hayley, 14 ans, se retrouve être la porte-parole à la fois des victimes et des bourreaux. Elle met en perspective les actes de Jeff, endosse le rôle de juge partial et le met à l'épreuve quant à ses fautes morales.


Hard Candy est un vivier énorme de contradictions et donc d'intérêt car au-delà de représenter deux personnages bien distincts, il met en scène le pédophile, la jeune femme et le spectateur et n'hésite pas à échanger les rôles tout au long du film. La caméra est mouvante, toujours dans le rythme de la tension, les scènes sont filmées de manière à saisir le ressenti à un instant t. Ainsi, au début du film, nous avons Hayley filmée de profil et Jeff face caméra, son visage transpirant l'assurance. Plus tard, il sera à son tour filmé de profil et les mouvements seront beaucoup plus flous. Il en va de même pour les formes géométriques (dès le générique du début) qui retiennent les personnages dans un carcan avant de les libérer petit à petit, déclenchant un flot d'incertitudes et de doutes mis en lumière. La pression se relâche et fléchit.


Si le spectateur est partie prenante du film, c'est aussi parce qu'il se prend, par moment, à vouloir défendre le monstre retenu prisonnier tellement il vit quelque chose d'atroce. Et qui l'eut cru ? Partagés entre l'immoralité et la justice, nous, spectateurs, sommes secoués à chaque rebondissement et à chaque note d'espoir pour Jeff. Jusqu'à ce qu'il s'échappe et qu'on le veuille à nouveau sous le regard implacable de Hayley. La prédominance du rouge qui sert très souvent de transition entre des scènes ou des points de vue divergents nous rappelle que ce huis-clos est avant tout une réflexion sur la violence émotionnelle et l'impact des souvenirs dont la douleur est très souvent invisible. David Slade, par cette couleur, personnifie un sentiment, un état, une blessure psychique. Le personnage de Ellen Page, comme elle le dit-elle-même, n'est d'ailleurs qu'une image de toutes les filles attouchées et maltraitées. Telle une vengeresse masquée dont on ne saura rien jusqu'à la fin, elle assoit sa domination sur lui et devient son propre bourreau. Le petit chaperon rouge mesure toute l'ampleur de sa solitude, lui aussi, et à eux-deux, ils font face à leur propre éthique, à leurs propres limites.


La complexité qui transparaît des dissonances permanentes entre les personnages n'émane pas seulement de ce qu'ils se disent mais aussi de la manière dont ils s'avouent les choses. Elle ne fait pas vraiment ci, il n'a pas vraiment fait ça, et tout au long du film, les protagonistes seront molestés par leurs propre désinhibitions ; rien à perdre ou tout à perdre, leurs comportements seront définis par la situation et non par un axe de pensée plus ou moins changeant. C'est le seul bémol qui me vient en tête, outre quelques moments qui viennent polluer le film (Sandra Oh et la toute scène de fin notamment), l'incapacité du duo à tirer profit de ce que l'autre avance ; ils camperont éternellement sur les mêmes positions, cachés sous des mensonges filandreux. Hard Candy démontre que la morale est surtout très fluctuante et déterminée par des facteurs qui nous sont propres.


Un film remarquable dans son approche du sujet et dans la façon de détourner les perversions, avec un Patrick Wilson glaçant (surtout dans la première heure du film) et une Ellen Page revancharde et incontrôlable, dont le personnage lui colle à la peau. Une très grande carrière l'attend à bras ouverts, une grande actrice avec des rôles de compositions majestueux et si jeune. Quant à David Slade, espérons que ses futurs plans de carrière seront au moins aussi pertinents que celui-ci, ce qui n'a pas toujours été le cas.

EvyNadler

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