Après un documentaire sur les motards baltimoriens de « 12 O'Clock Boys », Lotfy Nathan passe à la fiction, en route vers une Tunisie qui ne semble pas vraiment avoir digéré son printemps arabe. Le fantôme de Mohamed Bouazizi circule dans les plans les plus sombres, faisant foi d’une abnégation silencieuse, chez une jeunesse privée d’une vie en société. Il n’est donc pas étonnant de voir le cinéaste invoquer l’urgence, au beau milieu de paysages magnifiques, où le soleil peut à la fois illuminer l’horizon et brûler tous les espoirs de cette poignée d’individus qui tentent de survivre par tous les moyens.


La crise est gouvernementale et administrative, mais ce sera par le biais du personnage d’Ali, tenu par un Adam Bessa charismatique, que l’on contemplera la misère d’une nation endeuillée par l’injustice. Il vit de contrebandes d’essence, dans l’espoir de filer vers le fantasme d’une Europe salvatrice, mais en faisant le point sur cette « magie » qui a disparus, une voix-off le rappelle à l’ordre. Ali baigne dans la réalité du désert social, où il n’existe pas de droit pour ce dernier, toujours sous l’emprise d’une police corrompue. L’argent est le nerf d’une guerre de position, car il ne change pas son point de vente ou encore son domicile de fortune, en ruine, caractérisant à la fois son état d’esprit mutilé et l’état dans lequel se trouve son pays, qu’il ne parvient plus à protéger ses citoyens.


Le récit ne nous épargne pas les écueils du genre, où le héros verra ses responsabilités se multiplier à la mort de son père. Ce dernier laisse ainsi une génération livrée à elle-même, où le frère d’Ali prend la fuite, tandis que ses sœurs restent, simplement parce qu’elles sont limitées par un mode de vie toxique, où le profit enterre les chances de renouvellement de la famille. Le film se balade d’ailleurs ainsi entre le thriller et le drame. La stabilité n’est pas dans l’ADN de ce projet, qui a tous les éléments pour une dénonciation universelle. Cette démarche trouvera rapidement se limites, mais avec le comédien vedette et le raisonnement pessimiste de l’œuvre, il est possible de se laisser embarquer dans une aventure introspective forte.


Sans réinventer le concept, « Harka » s’appuie sur ce qu’il sait, à savoir l’échec d’une transition, toujours en cours et qui ne demande qu’à s’embrasser, dans le but de tourner la page et non pas de rappeler les funestes chapitres qui hantent encore la Tunisie et ses nouveaux martyrs. Le film se fige dans l’entre-deux, afin de laisser toute la place au spectateur d’accompagner Ali dans sa chute, malgré une bienveillance, qu’il revisite avec une grande sincérité. En attendant « Son », la prochaine fiction biblique et horrifique du cinéaste, il est donc envisageable d’y trouver une dimension supplémentaire à ce portrait intimiste et nourri de mélancolies.

Cinememories
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le 1 août 2022

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