Tiens, il y a presque quelque chose de "coréen" dans la dose massive de souffrance et de malaise que nous inflige Kôji Fukada au long de son "Harmonium" (titre français bancal car ignorant la seconde partie de film, la plus terrible, alors que le titre original, "Au bord du gouffre" faisait parfaitement l'affaire...) : en suivant les traces de Pasolini ("Théorème", bien évidemment) et en confrontant le récit symbolique de la famille qui se désintègre sous la pression exercée par un élément étranger aux "trucs" du cinéma de fantômes japonais, Fukada trouve des angles inédits pour se livrer à ce qui est apparemment une critique en règle de la sacro-sainte famille japonaise. Pour un spectateur occidental, cet aspect-là n'est certainement pas le plus saillant, mais il sera inévitablement sensible à la déréliction croissante du film, au fur et à mesure que se déroule le mécanisme implacable de la destruction des relations entre les personnages du film. On peut trouver le film accablant, manipulateur même (le personnage de la fillette et son terrible "accident"), on peut - à mon avis à tort - critiquer la facilité des ellipses du récit, mais il est impossible de nier l'extraordinaire précision de la mise en scène de "Harmonium", qui enchaîne des plans magistraux, d'une intelligence parfois même fulgurante. Terminons en soulignant qu'on peut ramener le conflit fondamental du film à la difficulté (l'impossibilité, même...) d'inclure dans un même cadre la famille entière et le "membre rapporté" : on n'y parviendra que deux fois - les deux fois au bord d'une rivière - en ouverture et en clôture d'une tragédie radicale... [Critique écrite en 2017]