Harriet présente tous les défauts de la reconstitution historique qui confond la rétrospection avec l’anachronisme, si bien que sa colonne vertébrale ne se compose pas de séquences reliées entre elles par une vision de l’Histoire à la fois claire, personnelle et cohérente – puisqu’elle doit structurer l’ensemble du corps – mais se suture péniblement par un tissage de discours libertaires, raciaux et féministes, de poses balourdes et de scènes-paliers qui sont autant de passages obligés dans ce genre de production.
À l’opposé de l’excellent Twelve Years a Slave, Harriet peine à imposer son style et à trouver son souffle, la faute à une mauvaise répartition de ses scènes dans la durée qui ne rendent pas justice au périple suivi et enduré par l’héroïne : sa fuite loin du domaine qui la retenait en esclavage et qui souhaitait la vendre au plus offrant n’occupe qu’une poignée de minutes, là où elle aurait dû tenir le spectateur en haleine, du moins s’affirmer comme le cœur battant du long métrage, son premier cœur battant bientôt redoublé puis décuplé au fil des passages, des allers-retours.
En lieu et place, des affrontements verbaux qui ne sonnent pas juste mais qui ont pour unique fonction de construire le portrait d’une sainte, de la Jeanne d’Arc noire qui de Moïse est appelée à ressusciter (voir à ce titre la clausule et le texte qu’elle donne à lire). De bien louables intentions – et un parti pris contestable, mais un parti pris tout de même – qui ne débouchent sur la création d’aucune forme qui leur serait adaptée : on nous martèle que Tubman entend la voix du Seigneur, mais à aucun moment le film ne prend le risque de mettre en images cette élection divine, alors qu’un détour par le fantastique ou le miracle aurait conféré à l’œuvre une puissance poétique, surtout un regard novateur et audacieux porté sur une icône de l’abolition de l’esclavage et qui retrouve ici les illustrations des pages de manuels scolaires qu’elle occupe déjà.
Pédagogique, certainement ; mais on était en droit d’exiger davantage d’un film s’emparant d’une figure aussi importante et révolutionnaire qu’Harriet Tubman. Reste l’actrice principale, Cynthia Erivo, parfaite dans le rôle-titre et qui porte le film sur ses épaules grâce à son charisme, la qualité de son interprétation et la beauté de sa voix.