Ayant vu tous les films de Woody Allen je me suis mis à aimer de plus en plus ce film au fur et à mesure des nombreux visionnages et aujourd'hui je pense que c'est son chef d'oeuvre. On y retrouve tout l'univers de Woody Allen et une reprise des thématiques favorites de son oeuvre avec une densité exceptionnelle et dès les premières scènes un humour irrésistible:
- La créativité et la création artistique
L'utilisation dans le processus créatif de l'écrivain de sa vie personnelle, intime et celle de son entourage. La confusion allant même dans les prénoms à peine dissimulés où il se perd parfois lui-même. Le montage du film plonge le spectateur lui-même dans des quiproquos qui l'associent à la confusion d'Harry. Mais au delà de cet effet il interroge la question de l'éthique et de l'impact de l'art sur les relations humaines.
- Les relations humaines et les conflits personnels
Harry, entretient des relations dysfonctionnelles avec ses ex-femmes, amantes, amis, et même sa famille. Le regard de Woody Allen est le plus souvent cynique mais jamais violent.
-La moralité, la culpabilité et l'héritage de la culture juive
Le personnage de Harry est moralement ambigu : il est égoïste, infidèle, et insensible, mais il est aussi en quête d'une forme de rédemption ou d'accomplissement personnel. Cette tension entre ses défauts et ses aspirations est au cœur du film.
En lien avec cela le thème de l'impact de la culture, la satire critique de la communauté juives orthodoxe et leurs pratiques dont il se dissocie soit en direct (avec sa soeur et son beau-frère) soit via ses personnages ("sa" psychanalyste interprétée par Demi Moore)
- L’angoisse existentielle, la peur de la mort et la psychanalyse
Fidèle aux thèmes récurrents dans l'œuvre de Woody Allen, le film s’intéresse aux questions de la mort, du sens de la vie, et de l'insatisfaction chronique. Ces sujets sont abordés avec un mélange d'humour noir et de philosophie.
- La mise en abyme de la fiction
le film brouille constamment les frontières entre la réalité et la fiction. Les personnages fictifs créés par Harry prennent vie à l'écran mais il est lui-même confronté à ses propres créations et contradictions. Parfois les personnages de fiction d'Harry (issus eux-même de sa réalité) interagissent in vivo avec lui donnant un nouvel angle au regard qu'il porte sur les situations et dont il ne parvient pas à se distancier.
- La liberté individuelle et ses limites
Harry revendique son droit à vivre selon ses propres règles, mais cela l'isole et handicape ses relations personnelles. Il ne parvient pas à préserver son propre fils des effets pervers (qu'il ne calcule pas (voire ne comprend pas) de sa liberté de penser .Cette tension entre individualisme et connexion humaine est explorée vraiment très subtile et le contraste avec la farce simultané est extraordinaire
- La consommation sexuelle disjointe de la relation sentimentale.
Le sexe est appréhendé sous l'angle purement fonctionnel, le recours à la prostitution étant naturel en réponse à un besoin avec une mise au même plan de la considération qu'il porte à la prostituée et de son entourage proche.
La déconstruction d'Harry est illustrée non seulement par le fond mais aussi par la forme du film, le style narratif fragmenté reflète le chaos de la vie et de la pensée d'Harry.
A la fois introspection un peu amère et comédie grinçante, le film offre enfin des innovations géniales mais jamais gratuites ni déconnectées du sens du film comme dans la scène où l'acteur incarné par Robin Williams devient flou et n'offre plus la possibilité au chef opérateur de faire une mise au point.
C'est un film qui n'a pas pris une ride contrairement à quelques un de ses meilleurs films qui peuvent apparaitre aujourd'hui très ancrés dans l'époque de leur réalisation.
On y retrouve synthétisé tout l'univers de Woody Allen et la scène finale où il est fêté par tous ses personnages introduit même une émotion que l'on pourra volontiers ressentir nous-mêmes.
Un pur chef d'oeuvre.