Un film post-apocalyptique baptisé « Hell » on se dit d’emblée que si la mise en scène est aussi inventive ça ne va pas faire un pli. Or, on est déjà sur une mauvaise piste. Hell est un film allemand. Il n’est donc pas directement question des enfers mais de la lumière. Beau double sens. Ce soleil dont les rayons se font de plus en plus chauds. Ce n’est pas un astre qui se meurt ou disparaît, cette fois il disjoncte, entraînant inévitablement une atmosphère lourde, aride, des paysages brûlés, une planète en voie d’extinction car sans ressources, un monde en sursis, où les derniers survivants, façon La route de Cormas Mc Carthy, en plus de survivre au jour le jour à eux-mêmes, entre pénuries d’eau et de vivres, doivent survivre aux autres, prédateurs pillards en tout genre.

Produit par le coutumier et balourd Roland Emmerich, le film surprend d’abord par l’épure avec laquelle il met en scène cet énième variation de survie. Epure du trait – aucune explication ni bavardage superflus – qui appelle un schéma narratif lui aussi assaini : la caméra est aux crochets d’un petit groupe humain, un homme et deux sœurs, dans une bagnole dont on barricade les vitres de papier journal, en direction des montagnes où subsisteraient éventuellement quelques sources d’eau.

Cet espace que filme Fehlbaum me plait énormément. Cet espace et les personnages gravitant dans cet espace. On pourrait y tracer des lignes. A travers les routes cabossées, les forêts vallonnées et les champs cramés. Dans le dernier tiers, le film se déroule alors majoritairement à l’intérieur d’une ferme. Le cinéaste la filme de la même manière, utilisant à merveilles jointures et ouvertures, de façon à ce que le spectateur apprivoise l’espace qu’il reconnaît et craigne celui qu’il ignore. Les personnages ne font pas avancer le récit au moyen de réactions déraisonnées et incompréhensibles. Ils sont à l’état animal et agissent en terrain hostile avec l’intelligence d’un animal sauvage.

Mais Hell n’a pas non plus la prétention d’être meilleur que ses modèles ou films similaires, c’est simplement que tout ce qu’il entreprend et ce qu’il recherche, il le réussit, davantage qu’ailleurs, parce qu’il n’est pas là pour séduire. Je me suis souvent interrogé sur cette manie qu’a le film d’horreur, en l’occurrence le survival (encore plus que le reste donc) à vouloir tout baliser, se dépersonnaliser, tenir le spectateur par la main tout en le bousculant comme on le ferait à un enfant dans un train fantôme. C’est bête finalement, le spectateur de ce genre de film a plutôt envie qu’on le bouscule et qu’on tente de l’envoyer au tapis, ce n’est que mon avis car c’est ce que je recherche, que je peux trouver à de rares reprises, dans Eden lake ou Frozen ou The descent, pour en citer quelques-uns. Mais ce ne sont pas des films post-apocalyptiques, il n’y a de point d’ancrage que celui d’une situation extrême individuelle et non planétaire.

Et puis il y a l’autre belle idée : cette propension à la défocalisation. Mon dieu ce que ça fait du bien ! Et pourtant ça pourrait encore être plus radical. La survie démarre à trois avant de se prolonger à quatre. Certains personnages vont disparaître. Puis réapparaître, un peu, ou pas. Je n’ai pas cette impression de film centré sur un personnage unique, hormis oui, dans cette dernière demi-heure, plus horrifique et donc plus traditionnelle. Le reste du temps il peut tout arriver. On a l’œil tranquille sur rien ni personne. En un sens, on est à l’intérieur du récit, suspendus aux moindres gestes, attentifs aux éventualités. Le film fait preuve d’une qualité d’écriture incroyable, dans les dialogues comme dans les silences, si bien qu’on pourrait presque le rapprocher de la nouvelle école berlinoise, l’un des plus beaux cinémas d’auteur actuel.

Et puis quel plaisir de voir là-dedans des acteurs teutons que j’aime beaucoup : Lars Eidinger, magnifique dans le chef d’œuvre de Maren Ade, Everyone else ; Hannah Herzsprung, impressionnante dans le très moyen Four minutes ; Stipe Erceg, une gueule une vraie, aperçu dans Sans identité ou dans Bienvenue à Cadavres-les-bains ; Et Angela Winkler, la maman aussi bien de Benny dans Benny’s video que de Oskar dans Le tambour.

C’est donc une incompréhension supplémentaire que de constater qu’un parfait survival comme celui-ci n’est jamais sorti sur grand écran en France, remportant qui plus est un prix du public à Gérardmer avant de disparaître intégralement du circuit de distribution. Et dire que dans le genre, s’il y en a un à voir au cinéma c’est bien celui-là tant la photo est superbe. Bref, c’est une réussite totale, pas un bout de gras. Quatre-vingt dix minutes oppressantes comme rarement.
JanosValuska
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le 17 nov. 2014

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