Après l'ouverture de la 13ème édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) ce mardi soir, voici ma première entrée, qui inaugure mon voyage dans le cinéma coréen d'aujourd'hui, qui va se poursuivre ces prochains jours. Et cela commence avec Hello Dayoung, une comédie muette en noir et blanc. J'avais bien dit "cinéma d'aujourd'hui" et on parle de cinéma muet ?
Absolument, car ce n'est pas parce que le cinéma dit "parlant" est né en 1927 et a transformé le muet en divertissement pour nostalgiques, d'après ceux qui l'ont enterré à cette époque, qu'il appartient définitivement au passé. Le cinéma muet n'est pas qu'un embryon du cinéma moderne. L'absence de son était certes liée à des contraintes d'ordre technologique, mais l'ère du muet a surtout permis de développer des courants artistiques et de faire du cinéma muet le vecteur d'un parti pris esthétique et cinématographique particulier. Naturellement, dans ma volonté de réhabiliter le cinéma muet d'antan, apprendre qu'un film muet de 2018 était programmé au FFCP a directement capté mon attention. Comment réaliser un film muet aujourd'hui ? A quelles fins ? De quoi ça a l'air ? Hello Dayoung permet de répondre à ces questions. Car si le réalisateur du film a décidé de le tourner ainsi, c'est bien pour alimenter et appuyer le discours relativement désabusé et rebelle qu'il tient à propos du monde du travail coréen actuel.
Ko Bong-soo s'approprie et réactualise l'esprit du cinéma muet, dans sa manière de rythmer son film, autant dans l'intrigue que dans cet effet d'accéléré appliqué aux images, qui permet de compenser l'absence de dialogues et de donner du dynamisme au film. Le jeu des acteurs a aussi été adapté dans ce sens, avec des expressions faciales souvent appuyées, ne dénonçant jamais de mauvais jeux d'acteurs, mais cherchant à jouer la carte de la caricature, un des éléments-clé du discours du cinéaste. Et c'est ici que l'on commence à comprendre ce parti pris adopté en choisissant de faire de Hello Dayoung un film muet. En effet, d'un côté, nous avons le fait que le film est en noir et blanc. L'absence de couleurs, plongeant le film dans un gris ambiant, permet de l'immerger dans une sorte de morosité ambiante et pesante, liée à l'état d'esprit de Dayoung et Minjae, les deux héros du film, tous les deux malheureux dans leur vie, et dont l'énergie est totalement absorbée par leur travail. Le choix du muet, quant à lui, permet au film de piocher dans l'héritage des slapstick movies, films burlesques qui ont fait les grandes heures de Charlie Chaplin et Buster Keaton, entre autres, et qui permet à cette comédie d'adopter des accents grotesques. Ainsi, dans cette association entre le noir et blanc et le muet, Hello Dayoung parvient à créer une morosité grotesque, ou cette grotesque morosité, alimentée par un monde du travail aussi oppressant et stressant qu'il est ridicule et honteux.
Le cinéaste cherche ici à critiquer le monde du travail tel qu'il est devenu en Corée, mais un occidental peut très bien s'identifier et établir des parallèles à travers ses propres expériences ou des expériences rapportées. On y observe toutes les tares du monde du travail, en passant par le machisme, les faux-semblants, l'acharnement sur des bouc-émissaires, les manipulations, le piston, etc. Le microcosme présenté dans Hello Dayoung permet de synthétiser, non sans caricaturer, bien entendu, en quoi l'humain peut être capable des pires bassesses dans le monde de l'entreprise. Et l'aspect caricatural d'Hello Dayoung ne doit en rien desservir son propos, une caricature cachant toujours un fond de vérité. Encore une fois, le fait que le film soit en noir et blanc et muet réduit au maximum le nombre de filtres entravant sa lecture, le rendant le plus authentique possible et établissant une communication via le langage du cinéma avec le spectateur. Rappelons que, dans le passé, de grandes œuvres du muet livraient déjà d'excellentes satires de notre société, comme Les Temps Modernes avec Charlie Chaplin ou Safety Last avec Harold Lloyd. Ainsi, le cinéaste parvient à rendre son film intemporel, montrant que l'humanité se veut de plus en plus sophistiquée et évoluée, mais qu'elle sera toujours influencée par ses bas instincts et poussée dans ses travers, depuis toujours et, certainement, encore à l'avenir.
Globalement, le pari de Ko Bong-soo est relevé. En choisissant de faire de Hello Dayoung un film muet, il parvient non seulement à montrer que le cinéma muet n'est pas mort, mais il donne surtout de la pertinence et du dynamisme à son propos. Il réussit à dresser un tableau burlesque où la réussite sociale est une obsession qui ternit et fausse les relations humaines. Certes, le film n'est pas exempt de quelques petites longueurs et répétitions qui semblent dénoncer une certaine difficulté à totalement jouer le jeu du cinéma muet. Cependant, la démarche proposée est tout à fait pertinente, digne d'intérêt et éloquente. Éloquente, malgré l'absence de dialogues. Mais on peut le dire, quand on voit l'attitude de certains, ça se passe de mots... Comme dans Hello Dayoung.