Des culturistes s'entraînent sur une petite musique jazzy, qui transpire autant la routine que la folie. On muscle tout : le bras, le ventre, les mains, chaque organe a sa machine dédiée C'est très mécanique, le bruit de la fonte en fond.
Werner Herzog dans ce premier film (un court métrage de 9 minutes) nous entraîne dans une somme douteuse de confrontations imaginaires entre le culturisme et les malheurs du réel : l'occasion d’alterner séquences d’entraînements (rigoureux, calibrés, maitrisés) et séquences de drames chaotiques piochées à travers le monde (âmes sensibles s'abstenir).
L'alternance des plans, au service de la suggestion, joue notamment sur les multiples échelles. Un gros plan sur le muscle, un plan moyen sur le corps entier ; entre un biceps que l'on contracte et un homme en séance d'abdominaux, la pliure semble la même. Tous les muscles du dos dépassent quand ils font des tractions, ça s'emboite et ça s'articule explicitement, jusque dans les plus « petits » détails. L’homme devient la somme sublimée de ses muscles. Il contracte à fond devant le jury, jusque dans le sourire. Sa petite tête est rigolote sur son corps énorme tout badigeonné pour briller.
Le fond sonore vaut bien la musique psychédélique de Popol Vuh. Sous un petit air jazzy de salon, on entend la fonte ; celle que l'on pose et que l'on soulève, et que l'on soulève et que l'on pose encore ; ce bruit de métal plein qui sonne creux, mais qui sonne aussi l'effort rituel, le dépassement, la transe. C'est réconfortant comme du linge chaud qui sort de la machine.
Mais voilà, comme souvent chez Herzog, à force de fouiller le linge, vous tombez sur un truc sec et mort : c'est Minouche votre chat, que vous aviez oublié dans la machine.
Werner Herzog insère des scènes de divers trucs plus ou moins graves de l'époque moderne, introduites chaque fois d'une question en carton qui s'affiche en blanc, et qui fait référence aux travaux d'Hercule : ça va des bouchons sur la route (saura-t-il tuer l'hydre de Lerne ?) à la pollution industrielle (saura-t-il nettoyer les écuries d'Augias ?), en passant par un grave accident de voiture de course qui percute le public (saura-t-il capturer les cavales de Diomède ?).
Une accumulation d'images, parfois extrêmement violentes. Les bouchons et la mort au même niveau, déroutant.
Une telle somme d'images vient casser brutalement le sentiment d'osmose, de l'esprit satisfait d'être à la pointe du corps travaillé. Le sentiment du chaos extérieur n'en est que plus brutal. Le monde gigote et s'entasse tant, qu'on ne saurait plus par quel bout le plier. Le multi-échelle trouve sa limite violemment exposée : le muscle – le corps – (rupture) – le monde.
L'homme comme souvent chez Werner Herzog, est ramené au fantasme d'un territoire imaginaire (psychique ou physique) en quête duquel on se mettrait pour vaincre le réel. Les limites violemment exposées non seulement du culte du surhomme, mais du culte tout court de quoi que ce soit, servent par contre un certain romantisme de l'idéal impossible. La place de l'homme dans le monde passerait par la conscience de l'homme de ses propres limites, et de l’hostilité globale du monde envers lui. Les hommes ne peuvent espérer aucun véritable secours.
Prisonnier d'une condition étrange liée à sa réflexivité, l'homme est autant témoin de sa vulnérabilité qu'incapable de la régler. Sensible à l'hostilité qui se loge aux frontières de chacune de ses réalités, l'homme cherche malgré tout à dépasser ses limites, comme pour montrer au réel qu’il se trompe. La douleur, alors, est inévitable.
Le plus étrange serait de le faire en souriant, imperturbablement. La comparaison au personnage d'Hercule relève tout le burlesque. Ou l’héroïcomique, je sais jamais. Héraclès, l'homme qui tuait des vipères au berceau. L'homme en quête d'apothéose, qui aurait probablement fait un peu d’aérobic sur l’échelle de Jacob s’il avait pu.
Ici l'apothéose, au sens davantage d’un climax de mise en scène, réside comme souvent chez Werner Herzog dans les images finales. Le documentaire se termine en un très gros plan de petites fesses musclées sous un slip blanc et bien bombé, lors d'un retour aux vestiaires.