Venues vanter les mérites de leur religion, deux jeunes représentantes du culte mormon frappent à la porte de l'affable Mr. Reed qui les invite bien volontiers à rentrer chez lui pour s'abriter du mauvais temps.
Alors que l'odeur d'une délicieuse tarte aux myrtilles cuisinée par sa femme se fait sentir dans la maisonnée, le sympathique occupant des lieux propose poliment aux deux femmes de s'asseoir en sa compagnie et entame avec elles quelques bavardages frivoles sur leurs croyances... avant de devenir sérieux, très sérieux sur le sujet, au point d'en être inquiétant sur ses intentions envers elles...
On ne va pas mentir, l'addition "Hugh Grant + A24 + Scott Beck & Bryan Woods" était très alléchante. Évidemment, le tournant jubilatoire pris par la carrière du génial premier terme, s'éclatant à casser son image de séducteur de comédies romantiques dans des rôles toujours plus inattendus ces dernières années, était déjà irrésistible en soi. Mais alors l'imaginer en psychopathe dans un film de genre marqué du gage de qualité A24 (et on connaît la capacité du studio à étonner niveau propositions hors norme en la matière !) rendait le visionnage de cet "Heretic" obligatoire ! Bon, le dernier élément constitué du tandem de ses réalisateurs-scénaristes était sans doute la donnée la plus aléatoire, ayant plus convaincu à l'écriture d'œuvres pour d'autres qu'à la tête de les leurs (entre un oubliable "Haunt" et un médiocre "65", pas grand chose à retenir de leur filmographie). Mais, heureusement, peut-être contaminé par tous les atouts disposés autour d'eux, le duo de metteurs en scène signe ici, et de loin, leur meilleur et plus passionnant long-métrage !
Comme beaucoup, on n'avait pas résisté à l'envie de visionner la première bande-annonce du film, dévoilant le visage sombre de Mr. Reed à l'égard de celles qui allaient manifestement devenir ses captives mais, en l'état, elle ne nous avait en aucun cas préparé à la manière dont elles allaient être précipitées à ce triste sort.
La montée en puissance de leur prise de conscience vis-à-vis de la personnalité on ne peut plus versatile de leur hôte va en effet s'avérer des plus redoutables, plaçant peu à peu les pions d'une confrontation irréconciliable de deux points de vue théologiques face à des finalités savamment laissées dans le brouillard d'une atmosphère toujours plus pesante. Roublard comme pas permis, "Heretic" met ainsi d'emblée le spectateur dans le même mélange dichotomique croissant de fascination et de trouble qui s'empare des deux jeunes femmes à l'égard de Mr. Reed tout en s'amusant à piocher dans l'immense boîte à outils que lui offre la richesse du genre (du thriller à l'épouvante pure) afin d'aborder la question de la croyance religieuse par un prisme d'une intelligence que l'on n'aurait même pas osé soupçonner.
Jamais avare en surprises (jusque dans ses derniers instants, il est donc difficile de trop en dire), le film de Scott Beck & Bryan Woods ne cesse de donner de l'épaisseur au duel psychologique en train de se jouer sous nos yeux, s'appuyant tout autant sur la démonstration/confrontation la plus littérale d'abstractions synonymes d'œillères pour chacun des camps que sur la question la plus rudimentaire de la survie des deux petites mormones... Et en répercute de la même façon à tous les niveaux de la conception de sa mécanique si bien huilée et révélée au fur et à mesure des évènements: de ses héroïnes qui déjouent les archétypes dans lesquels on pensait les voir trop vite s'enfermer à une réalisation toujours prête à se montrer aussi inventive que le maître des horloges mis en avant par ses soins, en passant par une amplitude continue sur la partie de ping-pong réthorique en train de se dérouler (avec la qualité de dialogues qui va de pair), "Heretic" impressionne vraiment par l'identité singulière qu'il se forge dans le genre, cherchant à éviter le piège de la simple itération (et pour cause...).
Enfin, comme attendu, Hugh Grant se -et nous- régale bien sûr dans ce rôle partant de ses mimiques attractives les plus connues pour épouser une noirceur qui lui sied à ravir mais il convient de saluer aussi l'excellente prestation de ses deux victimes, Sophie Thatcher (d'ailleurs interprète de la reprise de "Knockin' on Heaven's Door" du générique de fin) et Chloe East, parfaites pour lui tenir tête.
Certes, quelques grains de sable, comme un point de vue extérieur futile ou une redondance de mini-flashbacks finaux, empêchent de qualifier "Heretic" de véritable coup de maître mais la visite chez ce si étrange Mr. Reed reste un rendez-vous incontournable de cette fin d'année 2024.