Héros
Héros

Film de Jeremy Kagan (1977)

Je ne sais pas s'il existe d'autres films dont l'année de production éclaire si bien ses qualités, expose si explicitement ses enjeux, et raconte si parfaitement sa destinée.
Le film est tourné en 1976 (il sortira en 77 aux états-unis et en 79 en France) et tous ses composants, son thème, son scénario, ses acteurs, son style et son souffle, sont impactés d'une manière ou d'une autre par cette date.


Détaillons.


Si le thème des traumatismes psychiques liés à la guerre a déjà été exploré par le cinéma américain, notamment après les deux conflits mondiaux, il ne l'a encore jamais été pour la guerre du Vietnam, et on peut même considérer qu'au moment de son tournage, Héros est le tout premier film traitant de manière directe les cicatrices d'un pays qui ne commencent qu'à peine à se refermer (la guerre a pris fin un an avant seulement).
Et ce n'est pas pour rien que quand une scène de bataille, en fin de métrage, montre explicitement les origines du trauma, on puisse la trouver un poil moins puissante que ce qui sera vu après: Jeremy Kagan précède en effet Cimino, Coppola, Ted Post et tous les autres. C'est pas rien.


Le scénario est un peu déroutant, dans la mesure où, au moment où les années 80 commencent à poindre, il semble se situer au carrefour de multiples influences, (mélange que l'on retrouvera d'ailleurs au niveau du style du film). Ça ressemble d'abord à du Capra en couleurs, une sorte de remake de New-York Miami (deux personnages dans un bus, que les péripéties du voyage vont rapprocher), ça évoque ensuite le nouvel Hollywood par son aspect road-movie foutraque, avant d'enfoncer le clou de son thème central, plongeant donc dans la décennie à venir.


Rien ne saurait mieux expliquer la trajectoire des trois acteurs principaux du film que l'année pendant ils participent à ce tournage. Henry Winkler veut comme tout acteur de série tenter sa chance sur le grand écran et montrer qu'il peut faire autre chose que Fonzie dans Happy Days. On peut estimer qu'il y met un coeur énorme, qu'il y est presque tout le temps formidable, mais cale un peu dans une ou deux scènes charnières, il touche un plafond de verre qui empêche le film de décoller complètement au moment où il en aurait le plus besoin. Et, comble de malheur, il donne la réplique à deux jeunes artistes qui lui volent la vedette à chaque apparitions.
Il y a d'abord le encore jeune Harrison Ford, qui a certes déjà un peu bourlingué, mais qui va enchaîner juste après avec un tournage qui va le rendre légèrement célèbre. Ironie d'ailleurs, Star Wars sortira finalement avant Héros, ce qui fera que nombre de spectateurs du film (qui marchera plutôt très bien) le verront pour Ford plutôt que pour Winkler. Harrison n'apparait que vingt minutes à l'écran mais cette courte contribution est largement suffisante pour que tout spectateur ayant une tendresse particulière pour l'acteur se doive de voir absolument ce film (compris Torpinou ?)
Enfin est surtout, il y a Sally Field qui bouffe littéralement la pellicule et illumine au moins une scène sur deux dans laquelle est intervient, préfigurant génialement le rôle de Norma Rae qu'elle tiendra l'année suivante.
Le pauvre Fonzy n'avait donc aucune chance, et retournera à ses chères études télévisuelles.


Si le style du film, son rythme, son look, oscille en permanence entre une liberté de ton qui s'apprête à s'aseptiser et une efficacité qui commence à poindre (mix étrange entre les années 70 et les 80, donc) ses défauts en sont aussi et surtout le charme, immense.
Les passages creux du récit, ses quelques facilités (souvent liés à la voiture d'Harrison d'ailleurs), ne doivent absolument pas faire oublier ses moments formidables, à la générosité absolue, qui sauront faire fondre le cœur de tout spectateur doté d'un tel organe. La scène inaugurale qui explique qui est Jack Dunne et comment s'exprime son trauma, celle où on demande à Carol de passer la serpillère dans le relais, ou celle surtout, où elle appelle l'homme avec qui elle devait se marier sous l’œil attendri de son hôtesse inattendue, sont autant de petites pépites d'amour et d'humanité qui justifient la vision du film.
Et même quand une scène n'est pas entièrement emballante (les hélicos au Vietnam, encore), elle est amenée par une superbe idée de mise en scène.


Autre détail qui le différencie agréablement des feel-good movies sans consistance, dans ses moments de douceur, le film n'évite jamais les conséquences des actions des personnages. Ce qu'ils font laissent de vraies traces: la voiture morfle durablement, les passants s'accrochent pendant la fuite, et la conclusion prend une forme douce-amère dont le spectateur devra imaginer la tournure.


Bref, si 76 est décidément une date essentielle pour pleinement comprendre ce film, ne pas la connaitre n'empêche en rien d'en apprécier les superbes moments.
1976, c'est si loin et si proche en même temps: à l'échelle de SensCritique, pour vous donner une idée, j'ai 8 ans, Erik Pokesagne en a déjà 58, et le père de WeSTiiX ne va pas tarder à naitre.


(je remercie Laurent Aknin dans les bonus du DVD pour son éclairage essentiel qui a inspiré au moins deux paragraphes de ce texte)

guyness
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le 18 avr. 2021

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guyness

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