Un peu moins de trois ans après son très convaincant La French, Cédric Jimenez remonte un peu plus dans le temps pour nous immerger dans les heures sombres de l’Allemagne nazie en s’intéressant au cas de Reinhard Heydrich, un des plus hauts dignitaires du IIIe Reich, connu pour être à l’origine de la solution finale. Un film intéressant et bien mené, oui, mais qui aurait pu être encore mieux.
HHhH, signifiant en allemand « Himmlers Hirn heißt Heydrich » et en français « le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich » décrypte l’ascension de Reinhard Heydrich, soldat de l’armée renvoyé par la cour martiale, devenu plus tard responsable du Protectorat de Bohême-Moravie. L’homme, pourtant d’emblée étranger à Hitler, rejoint le parti nazi après avoir rencontré Lina, sa future femme, qui suivit Hitler dès les premières heures en 1929. La première partie du film vise à exposer l’ascension impressionnante de Heydrich, soutenu par Heinrich Himmler, qui l’intégrera parmi les SS avant de progressivement monter en grade. La seconde partie montre l’orchestration de l’attentat perpétré par des résistants tchèques en 1942, qui lui coûtera la vie, et toutes les conséquences qui en découlèrent.
On ne peut renier la maîtrise dont fait preuve le réalisateur pour mettre en scène son film et dérouler son intrigue. La montée soudaine et brutale du nazisme à la tête de l’Allemagne et la violence innommable dont il fit preuve à l’égard de ses opposants et des juifs sont parfaitement représentés pour susciter un véritable choc. Cette violence, parfois insoutenable, rappelle au souvenir de la cruauté humaine et des horreurs perpétrées par un régime pourtant encensé et soutenu par (presque) tout un peuple. Le personnage de Heydrich permet justement de mettre en évidence cette ferveur et cette cruauté réunies, mais le film choisit de prendre un autre virage et mettant davantage en avant l’organisation de la résistance tchécoslovaque. Non pas que celle-ci soit inintéressante, au contraire, mais ce parti pris porte un préjudice certain au film quant à son impact à l’égard du spectateur et au sein du paysage cinématographique.
En effet, les films et documentaires traitant de la Seconde Guerre Mondiale ne manquent pas, et leurs traitements variés du conflit en termes de points de vue et de discours permettent aujourd’hui d’avoir un regard global sur celui-ci. Cédric Jimenez choisit ici de consacrer la majeure partie du temps sur la résistance tchécoslovaque, ses deux protagonistes, l’attentat et ses conséquences. Et ce au détriment du développement du personnage de Heydrich dont l’ascension est bien présentée, mais laquelle présente certaines lacunes importantes. Par exemple, si Heydrich a eu le sentiment d’être trahi par l’armée, et a suivi sa femme et ses idées pour ne pas la perdre avant de finalement devenir un véritable fanatique, il manque un véritable développement concernant l’embrigadement de Heydrich, et son assimilation des idées nazies au point d’en devenir un vrai monstre sans états d’âme. Bien que l’on imagine que son intégration au sein de la SS ait été motivée par une volonté de reprendre sa place dans la société, son changement de caractère paraît trop brutal et mal construit, tout comme l’élaboration de la solution finale, brièvement mentionnée, et qui aurait pu servir d’apothéose à la création d’un monstre.
Le choix, donc, de privilégier la résistance et les massacres perpétrés par les nazis, au lieu de le conjuguer de manière plus harmonieuse avec un bon développement sur l’endoctrinement de Heydrich, réduit l’impact du film dans la mémoire du spectateur. En effet, si certaines images ne manqueront pas de choquer, son intrigue en devient plus classique et banale, donnant une désagréable sensation de déjà vu. Pourtant, les thématiques de l’embrigadement et du populisme auraient permis au film de mieux se distinguer et aussi de trouver écho dans notre époque où la tentation peut parfois mener à se réfugier dans un repli identitaire et à se nourrir d’une colère parfois malsaine et dangereuse. En définitive, HHhH est un bon film, avec de très bon acteurs, qui a son intérêt et expose des faits peu connus du public. Néanmoins, son parti pris l’empêche d’exploiter son potentiel, de véritablement se distinguer de films similaires d’hier et d’aujourd’hui, et ne s’avère donc pas aussi mémorable que l’on aurait pu le souhaiter.