Hibernatus est une comédie franco-française à la française datant de l'an 22 avant Ötzi et que l'on pourrait tout à fait ranger dans un genre cinématographique qui a on-ne-peut-plus fait ses preuves : « pas de prise de tête, pas de prise de risques ». Bon, en disant ça j'ai peut-être fait grincer des dents (bruit très peu agréable mais qui constitue une réaction que je comprends tout à fait), mais vous avouerez que c'est pas foutrement horripilant que de dire que ce film au sujet duquel je cause présentement, ben il est pas très Resnais comme dirait un pote (même si on peut chipoter en glissant que Claude Rich a joué à la fois dans Oscar et dans Je t'aime je t'aime mais je vais quand même pas me permettre ça). Effectivement, le film veut s'assurer une certaine sécurité au niveau du box-office en reprenant la recette d'Oscar, sorti deux ans plus tôt et qui avait pour vedette le couple de Funès-Gensac et pour réalisateur Edouard Molinaro. En gros, on peut affirmer qu'Hibernatus n'a pas été réalisé dans l'intention d'en faire la pièce maîtresse, le socle indétrônable du 7è Art, mais plutôt de faire marrer un bon coup (ce qui ne l'empêche pas d'être un bon film).
Hibernatus contient néanmoins dans ses antres les plus dissimulés des ambitions qui ont manifestement échappé aux yeux, aux oreilles et à l'entendement de tous. Rien qu'avec son titre, cette œuvre se place dans un héritage intellectuel de premier ordre : le participe parfait passif du verbe hiberno, as, are, avi, atum au nominatif masculin singulier est ici à considérer comme un gage d'appartenance du film à la upper-class, à l'intelligentsia européenne, bref à un contexte intellectuello-social qui tire ses fondements du miracle grec du Vè siècle avant notre ère. La dimension programmatique que Boileau a pu thématiser dans son Art poétique (1674) à propos de l'incipit, se retrouve ici dès le titre, le sens militaire de ce verbe étant « passer l'hiver dans un camp ». Ainsi retrouvera-t-on nos héros enfermés dans une forme modernisée du camp militaire romain, le quartier reconstituant l'ambiance Belle Époque entouré par des soldats pour bloquer l'accès à tout élément postérieur à 1905. Le film place le thème de l'enfermement en son cœur, cet exemple en est une preuve : l'enferment spatial est corrélé à un enfermement temporel lequel n'est certes fait que d'apparences mais qui contraint effectivement les personnages à changer leurs habiti. L'enfermement est contagieux, et on assiste au fur et à mesure du déroulement de l'intrigue à un glissement scalaire de l'enfermement : du bloc de glace à la chambre réfrigérée d'hôpital, de la chambre réfrigérée au quartier. Un constat pessimiste sur la fin de l'Histoire qui se place en complète opposition avec l'idéal kantien du progrès politique théorisé dans le concept de l'insociable sociabilité. Ce vaste mais néanmoins simple stratagème pour préserver la santé mentale de l'ex-cryogénisé sert également une mise en abyme de l'appareil cinématographique. Le cinéma se trouve dans la capacité de déplacer la conscience du spectateur d'une époque à une autre, plus largement d'un monde, celui du quotidien, à un autre monde, comportant plus ou moins de fiction, ce à l'aide de décors et de l'identification aux personnages (toute personne en phase terminale d'anxiété chronique à cause de la frénésie propre à notre époque due au capitalisme et à l'omniprésence des nouvelles technologies se retrouvera aisément dans un de Funès auquel on devrait faire un contrôle anti-dopage). Le cinéma trompe car il préfère la vérité au vrai.
On retrouve également des fondements du système platonicien, tel que la dichotomie corps-âme, qui cache la séparation essentielle entre le sensible et l'intelligible, ensuite repris par Kant notamment dans la troisième section de sa Grundlegung zur Metaphysik der Sitten (1785) dans un sens spécifiquement moral. La relation inter-subjective entre les professeurs Lauriebat et Bibolini sont une représentation très ingénieuse de cette conception de l'humain ; Bergman peut aller se rhabiller. Ces deux personnages sont nécessaires l'un à l'autre dans le cadre du système médical, mais les dialogues appuient fort justement que ces deux êtres ne se comprennent pas et s'intéressent à des catégories de l'entendement complètement étanches. Alors dans l'abbaye de Fromentine, le professeur Bibolini craque du fait de l'arrivée de son confrère duquel il doit se cacher. Cette situation au demeurant monstrueusement hilarante démontre que corps et âme doivent se trouver au même niveau pour que le sujet puisse satisfaire son désir primaire, son auto-conservation, tel que le rappelle Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755). Ce film illustre ainsi avec une simplicité déconcertante l'adage de Juvénal : Mens sana in corpore sano.
Cette critique, par sa pédanterie extrême, a pu transformer le grincement de dents sus-dit en renversement de tables, chaises, et autres meubles à portée. Je voudrais par avance m'excuser pour les préjudices que j'ai pu provoquer en vous délivrant la morale de l'histoire : même dans un film qui n'a pas forcément beaucoup d'ambitions, il y a matière à réfléchir (ou du moins à faire semblant, ce que j'ai fait). Je voudrais finir sur le fait que le savoir peut servir à s'amuser et que l'on peut l'utiliser de manière désintéressée, ce que beaucoup semblent avoir oublié. Aussi, ce que l'on appelle un mauvais film (je ne considère pas du tout Hibernatus ni le genre de la comédie comme mauvais) n'est pas strictement un film qui a échoué, mais plus une œuvre de laquelle on ne peut rien tirer d'intéressant, d'épanouissant. C'est une idée convenue, mais l'essentiel d'une œuvre se trouve dans le spectateur avant que d'être dans l’œuvre.