Quand j'avais 14 piges, j'allais chercher de quoi meubler les après midis de canicule comme les journées enneigées par -15 au soleil dans un vidéo-club tout ce qu'il y a de plus banal, surement comme la plupart des autres mais comme j'en ai pas connu d'autre, ce coffre à trésors reste le meilleur de tous. Entrer là dedans c'était respirer l'odeur caractéristique de plastique entreposé, de poussière et de la vieille moquette piétinée, c'était déambuler de rayon en rayon, hésitant dans ses choix comme un bambin devant un bocal de bonbons multicolores, passant d'un Karaté Tiger à un Tremors, d'un Dark Angel à un Le Jour des Morts Vivants, d'un Alien à un Predator... C'était un moment unique et presque rituel que cette dizaine de minutes dans l'expectative sous l'oeil bien veillant du tenancier saluant notre désormais fort régulière entrée d'un grand sourire enjoué. Aujourd'hui je garde ces souvenirs avec un léger réconfort nostalgique et une très grande reconnaissance pour ce lieu de réjouissances, m'ayant fait découvrir mes premières amours cinématographiques, de Full Metal Jacket à Street Trash en passant par Massacre à la Tronçonneuse et Willow... Et c'est dans ce lieu de douce et plaisante perdition qu'un jour je tombai sur Hidden.
Ce soir, j'me le suis réenfilé une énième fois pour rafraichir des souvenirs déjà très lointains, trame irrégulière parsemée de nombreux bouts de scènes dans un désordre improbable... Je n'pensais pas que 15 ans plus tard, ça me ferai cet effet là. Tout au plus cela devait-il se révéler au mieux un honnête moment de détente, au pire une petite déception face à des souvenirs bien trop dorés. Au lieu de quoi cette presque complète redécouverte, l'oeil un brin changé et pourtant Ô combien désireux de retrouver l'avidité du gosse que j'étais, s'avère un très beau coup de coeur pour ce petit film méconnu.
Alors oui, le métrage renifle le bisseux à pleins naseaux et s'ancre à chaque seconde dans ces savoureuses et bourrines 90's. Mais putain que c'est bon. Mais attention, c'est bon parce-que c'est extrêmement bien foutu et ficelé.
La scène d'intro, putain comment avais-je pu oublier la force de cette scène d'intro, est démente, dans ce qui s'est fait de mieux dans le genre, et t'empoigne la gueule pour te garder tout au long des 1h30.
Caméra de surveillance d'une banque, un homme en imper entre dans le champ, attend quelques longues secondes et se met à dézinguer son entourage au shotgun avant de repartir avec un petit magot au volant de sa Ferrari. Il fonce dans la ville sous les balles qui fusent et l'auto radio qui crache des accords de guitare électrique, détruit une demie douzaines de caisses de police avant de s'exploser lourdement sur un barrage, le corps criblé de balles et le volant en pleine tronche. Il se relève, fait face au flic et les salue d'un large sourire avant de se faire blaster la face. Cette scène déboîte. Impossible de décrocher après ça.
Ça enchaîne direct, et le corps trucidé et brûlé du fou à lier se réveille sur son lit d’hôpital, se lève sans effort et fixe son voisin de chambre du regard avant de dégobiller une larve géante aux allures de gastéropode tentaculaire dans la bouche de l'infortuné inconscient avant de prendre possession de ce nouveau corps, laissant son ancienne enveloppe cramoisie sur le sol comme la coquille brisée d'un putain de Bernard Lermitte mutant. C'est extrêmement bien foutu, minimaliste et efficace.
S'en suit une course poursuite entre un flic désabusé et un brin perdu, un agent du FBI froid, mystérieux et presque robotique et l'alien changeant de corps comme de chemise, tuant tout ce qui barre sa route au son du hard rock et du vrombissement des Ferrari dont il raffole. La déambulation effréné dans la ville arachnéenne est superbement bien menée et les atmosphères s’enchaînent de scènes en scènes sur une ambiance sonore tout à fait réussie dans cet espèce de rejeton bâtard et inconnu de Terminator et de The Thing, version punchy et débridée du Météore de la Nuit de Jack Arnold.
Encore une fois, putain que ça fait du bien. Surement que ma nostalgie joue un peu sur l'ensemble mais c'est sans la moindre hésitation que je recommande ce film. Il n'est pas assez connu, matez le. Il n'y a pas que les films muets expressionnistes dans la vie, il n'y a pas que les trains qui entrent en gare ou les tuyaux d'arrosoir fous, le burlesque jovial ou le cinéma de propagande russe, les fresques japonaises de 4 heures et les péplums de 6, les kung fu hyperactifs avec boules de feu et les space opéras avec sabres lasers, les petites sirènes et les lionceaux, les dinosaures en carton ou la mythologie en bouillie numérique, les films de vampires dans des lycées option biologie et les westerns spaghetti. Y a Hidden aussi.