C'est assez simple en somme : le sujet de High Art (c'est-à-dire l'art, c'est à-dire le cheminement d'une relation amoureuse lesbienne, c'est-à-dire la marginalité d'un monde engouffré dans sa propre perdition, dans ses propres choix, vains ou libérateurs), n'est nullement constitué d'une forme, d'une mise en scène, d'une manière de faire, à la hauteur de son sujet.
Choisir entre la coke ou l'art, entre la photo ou la poudre blanche, entre l'amour ou l'engouffrement d'une vie qui bascule, se piétine, se perd (ou les deux, pourquoi pas ?). Choisir entre le clic d'un appareil photo et la vie qui ne tient qu'au travers du papier glacé des images, sa vie à elle, tout brisée dans la drogue et l'alcool, dans l'affalement des corps sur les canapés d'une maison vide, enfumée de perdition, avec la drogue pour seul remède.
Ainsi, choisir. Vie ou poudre blanche ? Amour ou mort ? Se perdre dans l'illusion, dans le parallèle d'une vie abstraite, se perdre dans l'art, celui qui dévore, celui qui la dévore, elle, cette femme au corps amaigri, détruit, visage émacié, éclopé, alors elle se perd, sur ses corps de femmes qu'elle embrasse de tout son être, alors elle se perd, dans la poudre blanche et dans la cigarette, dans l'alcool, dans son monde à elle.
Mais ainsi, c'est grâce à son monde défloré défroqué, déglingue d'une existence vouée à l'échec qu'elle fait l'art, son art à elle, unique et bouleversant, déchiqueté par la rage, transcendé par la mort, par cette mort d'une vie qui la possède. Poséidon femme cruelle mais fragile, qui crache son monde sur la pellicule d'appareils photos.
Après, il y a l'amour. La blonde et la brune. La brune et la blonde qui se fondent telles des poudres, photographies alors d'une pleine vérité, blondeur d'un visage, yeux hagards, vérité dans le regard, cruauté d'une vie.
Choisir entre l'acceptation d'une vie qui la conduirait dans un statut d'artiste, faire d'une vie un art, faire de l'art sa vie, le tout confondu, étroitement. Monter vers la lumière ou s'écraser à terre : on pense alors au très beau Will Hunting de Gus Van Sant, film fracassant alors lorsqu'il pose la question du choix.
Le film ne le dira pas. Ce qui était advenu de cette femme célèbre avec ces photographies, corps trashs et délurés, vie qui palpite, noirceur qui frémi sous l'objectif de l'appareil photo. Non. Vie et art étroitement liées.
Le film ne dira rien. Rien des êtres, de chacun des visages, de chacune des vies. Parce qu’il reste là où l'on en est, c'est-à-dire seulement au seuil d'une intrigue qui s'étire en longueur, qui porte ainsi des personnages sans psychologie, servant parfois presque de décor (je pense notamment au personnage de la galeriste, du petit ami, de ces femmes qui rentrent et sortent comme des fantômes, après avoir abusé de drogue qui leur poudre le nez).
Ainsi, si l'on devait qualifier High Art d'un certain adjectif, ce serait bien celui de vide. Grand vide immense tout autour, qui va avec l'univers en loque de tout un chacun. Dommage alors, que cette sorte d’atmosphère quelque peu planante (bien plus vide que planante en fait), ne soit pas accentuée davantage. Scènes de soirées désabusées qui s'égarent en longueur, où chacun se droguent, parlent tout dou-ce-ment, d'une voix laaaaase, longue, presque imperceptible. Au final en ressort des scènes molles et quelques peu ennuyeuses, alors que ce pourrait être tout le contraire.
Vient alors le questionnement. Le foutu questionnement. Quand vient le questionnement à un moment où l'on ne devrait justement pas se questionner, mais plutôt se laisser emporter, on est mal.
N'empêche qu'alors, on se demande : où la réalisatrice veut-elle en venir ? Où mène-t-elle son sujet ? Mais un film cherche-t-il forcément à dire quelque chose ? Le fameux message que l'on doit chercher encore et toujours en bon élève docile, qui a bien appris sa leçon. Le cinéma est-il le lieu des messages ? De la retranscription ? L'art délivre-t-il forcément un message ? L'art n'a-t-il pas le droit de ne rien dire, tout simplement, de se lâcher corps et âme, de délivrer son être à la vie, sans rien attendre en retour ? Le problème de l'art contemporain qui n'est parfois là que pour sa propre intellectualisation, et pas autre chose.
L'art est tout d'abord une émotion, pure. L'intellectualisation vient après oui, comme la critique, l'analyse de cinéma par exemple (je n'ai néanmoins pas la prétention que je suis en train de faire de ce film une analyse hyper poussé. Voilà).
Lorsqu'on s'égare il faut revenir sur ses pas.
Parfois ainsi, rester inerte devant un film et se demander "mais qu'est-ce qu'il veut dire exactement ce film, c'est quoi son message là, j'ai rien compris" n'est pas forcément bon signe. C'est qu'ainsi, le créateur de l'oeuvre n'a pas réussi à amener le spectateur à l'art, c'est-à-dire à l'oubli de lui-même, c'est-à-dire à la dépossession de tout son être, c'est-à-dire à l'abandon. Parce que lorsqu'on est devant un grand film, on ne se pose évidemment pas la question du pourquoi. Lorsqu'on est devant un grand film, l'émotion jaillit, ample, et nous dépossède de nos moyens d'intellectualisation. Après, le but serait quelque peu d'intellectualiser l'émotion qui vient de nous prendre aux tripes.
Parce que voilà : tout parait être l'évidence même puisque le film coule de source et nous emporte entièrement, dans les tréfonds de son art. Un grand film reste un grand film. Point. Après c'est de savoir, pourquoi donc est-ce un grand film ? Alors les merveilles de l'intellectualisation cinématographique commencent (je vous entend venir : oh la la mais qu'est-ce qu'elle est pompeuse celle-là...) (faites gaffe je mord).
Ici en fait, il ne sert à rien de dire, puisque Hight Art n'est pas un "grand film" à proprement parler. Et c'est justement parce qu'apparaît ce flot de questions déplacées (comme dit ci-dessus), que ce petit film n'est pas grand. C'est un gentil film oui, sympathique comme tout, qui se laisse regarder, mais qui alors, dès sa finition, nous laisse un arrière goût d'inachèvement. Parce que dès qu'on commence à se poser la question suivante, le film en lui même devient inapproprié :
Démonstration ci-contre de la question suivante :
Ainsi : Pourquoi diable ce personnage de femme accentué à la fin, que l'on ne voit que deux fois, début et fin, en coup de vent : collège de la narratrice, sans doute secrétaire, qui semble avoir une attirance plus qu'amicale ou professionnelle envers Syd, de surcroît le personnage féminin blond (c'est affreux, je ne retiens jamais le nom des personnages des films). Parce qu'il y a une accentuation du regard, parce que cette femme a priori insignifiante démarre un dialogue avec Syd au tout début du film, questionnements beaucoup trop mielleux, un peu envahissante, ou trop curieuse, sourire trop accentué, regard trop prolongé, ce qui provoque un semblant de flirt (ou est-ce alors ma propre imagination qui me joue des tours ?)
Donc, en essayant de rester toute compréhensible afin de vous expliquer mon approche de la chose en question, cette femme trop pimbêche qui n'a même pas fini son bouquin qu'elle lit au début du film et qu'elle tient encore à la toute fin, cette femme n'a absolument aucun intérêt à l'histoire, et pourtant la caméra la filme à deux fois, l'accentue en train de faire des œillades à la blonde : on suppose quelque chose, mais en fait on s'en contre-fout. Il n'y a pas d’intérêt à montrer cette minuscule idée d'un probable flirt pour une secrétaire bien artificielle.
Un jour promis, j'essayerais d'écrire quelque chose de court et de synthétique pour vos petits yeux de lecteurs. Parce que les tours et les détours, ça va un temps mais c'est chiant.
Sur ce, je vous quitte sur ces quelques rimes.